Delphine de Vigan / les enfants sont rois (2021)

L'ombre et la lumière

Qu'ont en commun Mélanie Claux et Clara Roussel? Au début des années 2000, adolescentes, elles ont suivi les péripéties des vedettes du «Loft», la première grande télé-réalité française.

Nous sommes en 2019. Ces deux femmes au parcours opposé vont se trouver au coeur d'une histoire d'enlèvement d'enfant.  Kimmy Diore, 3 ans, la fille de Mélanie Claux,  est enlevée non loin de chez-elle alors qu'elle joue à cache-cache avec son frère Sammy  et des enfants du voisinage.

Il faut préciser que les enfants de Mélanie Claux et Rémi Diore sont des stars de You Tube. Depuis leur enfance, ils sont filmés par leur mère qui produit des stories vues par des millions de «followers». Cette business très lucrative leur rapporte près d'un million d'euros par année en plus de tous les produits offerts (vêtements, jouets, produits alimentaires, etc.) dont ils doivent faire la promotion à travers les vidéos produites quotidiennement.

«Les enfants sont rois» est une plongée dans le monde du vu pour être vu à tout prix, de la célébrité factice et de l'hyper consommation.

Alors que Mélanie a choisi les projecteurs, Clara, l'inspectrice de police, au contraire a choisi l'ombre. On ne peut imaginer deux femmes au destin aussi opposé.

Ce livre se lit comme un véritable thriller tout en proposant une réflexion salutaire sur les dérives que peuvent  entraîner les réseaux sociaux.

Inutile de préciser que cette super exposition aura des conséquences dévastatrices sur Kimmy et Sammy rendus à la vingtaine en 2031.

C'est une belle découverte que ce dernier roman de Delphine de Vigan. Je la connaissais de nom puisque Gigi a lu plusieurs de ses livres...

21 septembre 2021.

Yukio Mishima / Le pavillon d'or

Par le feu...

Je ne savais pas que le Pavillon d'Or à Kyoto, construit au 14e siècle avait été incendié en juillet 1950. J'ai pourtant eu la chance d'aller au Japon en 2016 et de voir ce joyau de l'architecture japonaise situé dans la banlieue sud de Kyoto.

«Le Pavillon d'Or» de Yukio Mishima raconte justement cette histoire véridique d'un jeune moine déficient absolument fasciné par la beauté du Pavillon d'Or. Son père, prieur au au temple, a fait en sorte qu'il intègre, à sa mort le pavillon pour faire son éducation de moine prieur et devenir supérieur. Tous les espoirs sont permis.

La fascination qu'exerce sur le jeune moine le pavillon est malsaine et destructrice. Obsédé par le sexe et toujours vierge à la mi-vingtaine, la destruction par le feu du Pavillon d'Or lui semble la seule solution pour trouver la paix... dans la mort.

Finalement, il renoncera à ses projets de mettre fin à ses jours, la destruction de la Beauté, en l'occurence le Pavillon d'Or, lui ayant redonné le goût de vivre.

C'est un roman extrêmement puissant qui nous fait voyager dans la tête d'un être à la fois troublé, malsain, et mystique.

La beauté de ce temple bouddhiste le paralyse littéralement. Il finira  par perdre sa virginité avec une prostituée avant de commettre son crime.

Le Pavillon d'Or, incendié le 2 juillet 1950, a été reconstruit à l'identique en 1955 et recouvert de nouvelles feuilles d'or en 1987.

Le récit de Mishima se termine la nuit de l'incendie.

On ne sait pas trop ce qui est advenu du moine pyromane arrêté par la police alors qu'il observait le feu depuis une colline pas très loin. On sait que le supérieur du temple,  bouleversé d'avoir accueilli ce moine, s'est fait moine mendiant. Quant à sa mère, qui le voyait supérieur du temple, de honte,  elle s'est jetée du haut d'un pont.

Le pavillon d'or  et ses jardins est un des sites les plus visités au Japon.

C'est un livre beau et troublant comme l'était Yukio Mishima.

19 septembre 2021

Jérôme Tubiana / Fragments de jeunesse. Une amitié d'enfance avec Patrick Modiano

Drôles de fragments...

Drôle de petit livre que celui de Jérôme Tubiana, «Fragments de jeunesse» préfacé par Erik Orsenna.

Jérôme Tubiana, mort en 2000, a été conseiller auprès de la direction de la société Danon et a occupé diverses fonctions au sein d'entreprises liées à l'alimentation.

Il s'agit de souvenirs d'enfance dans le Paris de l'après-guerre avec en filigrane - et c'est très mince- une  amitié avec Patrick Modiano qui se serait poursuivie de façon épisodique jusqu'aux années 60.  Il aurait été le camarade de classe de Patrick Modiano et de son frère Rudy à l'école communale de la rue du Pont-Lodi dans le VIe arrondissement de Paris.

Il aurait bien connu la mère de Modiano, amie de ses parents.

Il évoque aussi la vie de sa mère à lui, Hélène Vuiller-Tubiana, morte à 104 ans, en 2019,  une personnalité connue du 6e arrondissement. Elle aura milité auprès de Juliette Gréco pour la survie du patrimoine de Saint-Germain-des-prés. Elle était une grande amoureuse de Venise où elle passait beaucoup de temps.

Dans ces fragments de jeunesse, Tubiana superpose ses propres souvenirs à ceux évoqués par Modiano dans «Un pedigree» paru en 2005, un des livres sûrement le plus autobiographique du Prix Nobel 2014.

Ça se lit bien. On entend la musique modianesque. C'est une chronique d'un quartier mythique du Paris des années 50. Tout au long de ce court récit (117 pages) je me suis demandé ce que Modiano aurait pensé de cette incursion dans sa vie privée. Tubiana se pose la même question dans l'épilogue de son récit.

Bon coup de l'éditeur : l'ajout en sous-titre de »Une amitié d'enfance avec Patrick Modiano» est un bel appât pour les lecteurs assidus de Modiano. J'en suis la preuve.

Mais au final, j'ai bien aimé.

11 septembre 2021

Hal Vaughan / Dans le lit de l'ennemi. Coco Chanel sous l'Occupation (2012)

Dans le lit de Coco Chanel...

Tandis que la plupart des Parisiens manquent de tout durant l'Occupation et doivent composer avec des coupons de rationnement, Coco Chanel joue les Mata Hari au Ritz à Paris et dans les grands palaces de Madrid, de Lisbonne et du Maroc.

Pour la mythique créatrice de mode française, tout n'est que luxe et volupté. Le livre enquête de Hal Vaughan, «Dans le lit de l'ennemi / Coco Chanel sous l'Occupation», nous montre un visage de Coco Chanel  pas très flatteur.  Maîtresse d'un espion nazi, le baron Hans Günther von Dincklage,  elle aura collaboré de façon importante avec l'occupant.

Le moins que l'on puisse dire de Chanel c'est qu'elle était opportuniste et qu'elle savait bien jouer ses cartes.  Elle ne cache pas son antisémitisme et son dégoût des homosexuels, dont elle est pourtant entourée.

Elle aura magouillé durant toute l'Occupation et s'en tirera assez bien, se réfugiant en Suisse après la guerre grâce à ses contacts avec Winston Churchill. Elle ne sera pas véritablement inquiétée et n'hésitera pas à mentir et à trahir ceux avec qui elle avait traficoté sous l'Occupation.

Qualifiée d'espionne «horizontale» par certains, elle aura accueilli dans son lit qui pouvait l'aider à garder la tête haute en ces temps troubles de l'Occupation, tout sexe confondu. Et il y en aurait eu beaucoup...

Ce livre se lit comme un roman d'espionnage...en fait c'est une histoire d'espionnage comme chez Robert Ludlum ou John Le Carré...sauf que tout est vrai. D'ailleurs, ses recherches dans des archives récemment déclassifiées donnent de la  crédibilité à son enquête. Beaucoup de ces documents sont disponibles en annexe de l'ouvrage.

En ces temps de rectitude politique, que fait-on avec  sa bouteille de Chanel no 5 ou son petit tailleur?

Celle qui disait que la France retiendra trois noms pour la postérité, De Gaulle, Picasso et elle-même, ne passera sûrement pas à l'histoitre pour son humanisme. Riche et désabusée, elle mourra seule à 88 ans en janvier 1970.

9 septembre 2021

Ethan Hawke / Manhattan Story

Ne me quitte pas...

William, début vingtaine, originaire du Texas, jeune comédien, débarque à New-York. Nous sommes au début des années 90. C'est le personnage du roman d'Ethan Hawke, «Manhattan Story» paru en 1996.

 Ethan Hawke est né en novembre 1970, est originaire du Texas et vit à New-York depuis une trentaine d'années. Un plus un fait deux.

C'est une histoire d'amour comme on en connaît dans la vingtaine.  William fait la rencontre de Sarah qui veut devenir chanteuse. C'est une relation passionnée, une relation en dents de scie, exigente, faites de folies et de promesses. William qui a été élevé par sa mère doute de ses capacités à aimer et à être aimé.

La solution : partir à Paris. Pour ces deux jeunes new-yorkais, Paris représente la quintessence du romantisme.

Au final, Sarah quittera William. Cette rupture sera dévastatrice pour lui.

Sans être un grand roman, c'est une romance douce-amer avec Manhattan et Paris en toile de fond. On se sent parfois chez Woody Allen ou encore chez Paul Auster.

J'aime beaucoup ce genre de récit. Et, Ethan Hawke, il a tous les talents.

5 septembre 2021.

Alaa El Aswany / J'aurais voulu être égyptien

«Si je n'étais pas égyptien, j'aurais voulu être égyptien » MUSTAPHA KEMEL

Avant de connaître le succès avec «L'immeuble Yacoubian», Alaaa El Aswany avait connu des débuts difficiles en littérature avec «Celui qui s'est approché et qui a vu» un texte cinglant sur l'Égypte, ses contradictions et ses dérives  qui lui vaudra une interdiction de publication dans son pays et des accusations d'insulte à l'Égypte.

L'auteur qui aime profondément son pays n'est pas tendre à son égard. Il dénonce la corruption de ses dirigeants, sa soumission au pouvoir, l'hypocrisie de son peuple et bien d'autres tares encore. On comprend pourquoi ce texte lui a valu des ennuis de la part des autorités.

On a publié en 2009, ce texte accompagné d'autres courtes nouvelles inédites. Certaines sont  très percutantes, d'autres beaucoup moins.

31 août 2021

Alain Blottière / Le tombeau de Tommy (2009)

Le groupe Manouchian et l'affiche rouge

L'affiche rouge a été placardée dans toutes les villes de France le 21 février 1944 .

Sur cette célèbre affiche de propagande nazie, se retrouvent les photos de dix des militants du groupe terroriste Franc-Tireurs et partisans-Main-d'oeuvre immigrée (FTP-MOI), un groupe de résistants communistes qui ont commis une série d'attentats contre les Allemands occupant la France. L'affiche rouge a fait l'objet d'un poème par Louis Aragon qui a été chanté par Léo Ferré. Elle est devenue un symbole fort de la Résistance.

Je le dis d'emblée, «Le tombeau de Tommy»  d'Alain Blottière, paru en 2009, m'a complètement séduit. Il raconte l'histoire d'un cinéaste qui veut tourner un film sur Thomas Elek, un des membres du groupe terroriste FTP-MOI, fusillé avec 23 membres du groupe le 21 février 1944 à l'age de 19 ans. Complètement fasciné par l'histoire de Thomas Elek, le réalisateur peine à trouver le comédien capable de l'incarner dans son film.

Nous sommes en 2000. Lors d'une promenade  autour de la place du Trocadero, à Paris, il remarque un jeune skater qui semble correspondre au physique d'Elek.  D'abord réfractaire, Gabriel acceptera de jouer le rôle de  Tommy (nom de code de Thomas Elek).

Le roman retrace en parralèle l'histoire de Thomas Elek et du groupe Manouchian (autre nom du groupe FTP-MOI) et celle du tournage du film marqué par l'osmose inquiétante entre Gabriel et le personnage de Tommy.

C'est un roman magnifique qui joue sur le terrain de Patrick Modiano (la mémoire, l'Occupation) mais dans un tout autre registre.

Si vous êtes intéressés par cette tranche d'histoire il faut voir «L'armée du crime» de Robert Guédiguian (2009) ou encore «L'affiche rouge» (1976) de Frank Cassenti ou lire «La mémoire d'Hélène» paru en 1977, d'Hélène Elek, la mère de Thomas Elek.

24 aoùt 2021

Leïla Slimani / Le pays des autres

Vivre ailleurs

On se souvient de «Chanson douce»  paru en 2016 qui, contrairement à ce que son titre laisse penser, raconte l'assassinat de deux jeunes enfants par Louise, leur nounou. Ce récit glaçant avait obtenu le Prix Goncourt en 2016.

Gigi (voir rubrique les Livres de Gigi) m'avait parlé avec beaucoup d'enthousiasme du dernier roman de Leïla Slimani , «Le pays des autres».

C'est une histoire de déracinement, d'acculturation, de clash culturel  que nous propose  l'auteure d'origine marocaine dans ce récit qui relate l'histoire de Mathilde, alsacienne, qui fait la connaissance d'Amir, un soldat engagé dans l'armée française. À cette époque, le Maroc est sous protectorat français.

Après la guerre, Mathilde quitte la France pour suivre cet homme dont elle est tombée follement amoureuse. La lune de miel sera de courte durée.  Confinée avec son mari et ses deux enfants sur une terre ingrate, au nord de Meknès, qu'Amir peine à cultiver, elle sera confrontée à cette culture machiste. De plus, elle devra composer avec la famille d'Amir, son frère Omar, le combattant pour l'indépendance, et sa soeur Selma éprise de liberté.

Avec, en toile de fond, les événements qui mèreront à l'indépendance du Maroc le 18 novembre 1956, le roman de Slimani met en scène des personnages souvent mal à  l'aise dans ce pays en transition.

Un beau roman à la facture classique. Je ne serais pas du tout surpris qu'on adapte ce roman au cinéma, même si, dans beaucoup de cas, le résultat n'est pas toujours à la hauteur.

21 août 2021

Jean-Philippe Toussaint / Les émotions

Les émotions, la prospective et la gestion de crises...

Depuis quelques années, l'auteur de « La salle de bain»,  Jean-Philippe Toussaint construit des romans autour de cycles. Après avoir terminé le cycle M.M.M.M. (voir sous la rubrique Auteurs préférés), il en a commencé un second avec «La clé USB» en 2019 (voir rubrique LUS Automne 2019). «Les émotions» est le deuxième volet de ce cycle dont le personnage est Jean Detrez.

Jean Detrez travaille à la Commission européenne et s'intéresse depuis peu  à la prospective dans le cadre de son travail. On le suit à Londres où il assiste à une retraite réflexive sur l'avenir en compagnie d'autres  hauts fonctionnaires de la Commission européenne. Les participants réunis en atelier doivent proposer des scénarios futuristes touchant divers aspects de la société : économie, démographie, environnement, politique, etc.

C'est l'occasion pour Jean Detrez d'amorcer une réflexion sur l'avenir public versus l'avenir privé. Il se remémore sa vie amoureuse, ses relations avec son père (lui-même ancien haut fonctionnaire à la Commission européenne) et avec son frère Pierre, brillant architecte reconnu mondialement.

La dernière section du livre est consacrée à la gestion de crise par la CE lors  de l'éruption du volcan  islandais Eyjafjöll en avril 2010 et qui avait paralysé le ciel européen pendant plus d'une semaine. Je m'en souviens parfaitement, Gigi et moi ayant été retenus à Londres pendant plusieurs jours en attente d'un départ vers Paris. Toute une aventure!

La fin de l'ouvrage est tout à fait rocambolesque. On voit à quel point Jean-Philippe Toussaint sait manier avec brio le grave et le léger...les émotions et le rationnel.

16 août 2021

Une tasse de thé avec Arthure /  Les Éditions du Flâneur, 2021

Une tasse de thé avec mon amie Arthure.

Mon amie Arthure a tous les talents. Elle est artiste peintre, portraitiste, poupériste, illustratrice et éditrice. Mais encore, elle fait de merveilleux desserts et s'intéresse à l'art du thé depuis des années.

Elle a une impressionnante collection de tasses et de théières. Profitant de la pandémie, elle a décidé de convier ses amis, ses voisins, sa famille, des gens qui ont laissé une trace dans sa vie à un thé virtuel, comme elle le dit elle-même.

Ça donne un très bel ouvrage : on peut y admirer une partie de sa collection en plus de s'instruire sur les vertus des différents thés.

J'y déguste un thé «Rivière de Perles» aux pages 206 et 207 de l'ouvrage.

Pour moi, c'est comme avoir mon étoile sur le Hollywood Walk of Fame.

Merci Arthure! Merci Pierrette!

Et si vous passez par l'Étang-du-nord, il  faut arrêter au salon de thé Le Flâneur faire connaissance avec ses personnages plus farfelus les uns que les autres. Une véritable caverne d'Ali Baba! Ça vaut vraiment le détour.

14 août 2021 / îles de la Madeleine

George Fischer / Des vagues et des ailes. Photographies aériennes des îles de la Madeleine

Les îles vues d'en haut

Au fil des années, George Fischer, photographe paysager, a sillonné  la planète à la poursuite des paysages les plus imprévisibles.

Auteur de plus de soixante dix ouvrages plébiscités à travers le monde, cet amoureux des îles de la Madeleine a consacré plusieurs ouvrages à l'archipel madelinot depuis 1995.

Son dernier en liste «Des vagues et des ailes» présente des images aériennes prises à partir de drones télécommandés. C'est un point de vue privilégié, différent que nous offre le photographe. Ainsi, une lagune, des cages à homard, une plage à Pointe aux loups, des vaches broutant chemin des Montants prennent l'aspect de véritables tableaux, vus sous ces angles.

C'est un livre magnifique pour les amoureux des iles de la Madeleine bien sûr, mais aussi pour les amateurs de photo.

12 août 2021 / aux iles de la Madeleine

Tonino Benacquista / Toutes les histoires d'amour ont été racontées sauf une.

Les vies parallèles de Léo

Ça ne fait aucun doute, Tonino Benacquista est fasciné par les séries télé.  On se souviendra sûrement de «Saga» paru en 1997 où il nous invitait dans le quotidien d'une bande de scénaristes-scripteurs déjantés travaillant sur une série diffusée en pleine nuit, avec, on l'imagine, un auditoire assez restreint.

Son dernier roman au titre étrange «Toutes les histoires d'amour ont été racontées, sauf une» nous convie dans l'univers de Léo, célibataire, photographe qui court le monde et vit de la  vente de ses photos à de grandes agences.

Il fait la rencontre de Gaëlle, assistante dans le cabinet dentaire de son père. Coup de foudre! Projet de vie à deux! Toutefois, suite à l'extraction d'une dent de sagesse par son beau-père, sa vie va basculer. Et le récit aussi. Je ne vous en dis pas plus.

Léo vit désormais reclus dans un studio où il passe son temps à regarder des séries télé.  Il fait de plus en plus corps avec les personnages, à un point tel qu'on finit par se demander s'il n'est pas lui même le  personnage d'un romancier, lui-même personnage d'une série télé. Un genre de mise en abyme. Des boîtes gigognes!

C'est complexe. C'est pas toujours facile à suivre. C'est drôle. C'est déjanté. C'est du Benacquista quoi!

Et puis il y a ce chapitre au titre (un livre dans le livre) incongru que j'adore : « Quand on naît avec la tête de Jean-Paul Sartre, il vaut mieux naître aussi avec son intelligence.»

À lire aussi de Benacquista : «La maldonne des sleepings» 1989 / «Saga» 1997 / et «Homo Erectus» 2011 /... enfin, ce sont ceux que j'ai lus.

10 août 2021

Kingsley Amis / Lucky Jim (1954)

Lucky Jim...oui finalement!

J'aime beaucoup la littérature anglaise, David Lodge et Jonathan Coe figurant pami mes auteurs favoris.

«Lucky Jim» de Kingsley Amis est paru en 1954 et a reçu de nombreux prix en plus d'avoir été adapté au cinéma dans les années 60. Il a été plébiscité comme un des cent meilleurs livres anglophones du XXe  siècle par le Time Magazine et un des meilleurs livres humoristiques du siècle par un célèbre critique littéraire britannique.

Précédé d'une telle réputation, inutile de préciser que les attentes sont grandes. J'ai été un peu déboussolé par les trente permières pages, cherchant mes repères et ayant un peu de difficulté à cerner les personnages. Et ils sont nombreux. Mais, très vite par la suite la magie opère.

Lucky Jim, c'est Jim Dixon un chargé de cours en histoire médiévale dans une université en Angleterre, dont le nom n'est volontairement pas précisé. Jim est l'archétype du parfait looser qui travaille dans l'ombre de son directeur, monsieur Welch : il  se tape ses travaux de recherche et de correction espérant obtenir un poste permanent.

L'action principale se cristalise autour d'un week-end poétique et musical dans la maison de campagne des Welch où Jim est invité. On y fera la rencontre de madame Welch, de Margaret, de Christine, de Carol et de Bertrand, le fils des Welch. L'inimitié entre ce dernier et Jim aura des répercussions sur sa carrière universitaire.

C'est drôlement déluré pour un roman paru dans les années 50. Il aura d'ailleurs été l'objet de critiques sévères de la part des universitaires plus conservateurs.

C'est drôle. Si on aime l'humour britannique, on sera servi et bien servi. Jim Dixon qui connaîtra bien des déboires, deviendra finalement Lucky Jim... Il n'est pas sans nous rappeler Benjamin, le personnage incarné par Dustin Hofman dans «The Graduate» de Mike Nicols. Un happy end en feu d'artifice!

On a qualifié  Lucky Jim d'ancêtre du «roman de campus«.

 Depuis, ce thème a été repris avec beaucoup de brio, notamment par David Lodge. 

J'ai souvent pensé que le monde universitaire constituait  un excellent terreau pour des histoires drôles.

Si j'avais ce talent...je vois déjà des personnages se dessiner...Frisette, Le Kaiser...

6 août 2021.

Donna Leon / la tentation du pardon (2019)

Une autre enquête du commissaire Brunetti

Depuis la parution de «Mort à la Fenice» en 1997, Donna Leon n'a cessé de publier les enquêtes du commissaire Brunetti au rythme d'un par année.  Mais qu'est-ce qui fascine autant chez cette auteure qui, année après année, nous présente des enquêtes qu'elle a parfois de la difficulté à faire aboutir?

Poser la question, c'est y répondre.

C'est Venise bien sûr, ville dont elle connaît les moindres recoins pour y avoir  vécu plus de trente ans. Il y a bien sûr Guido Brunetti, sa femme Paola et leurs deux enfants, Chiara et Rafi. Une image d'Épinal cette famille ! On ne pourrait passer sous silence la cuisine de Paola qui a le don de nous mettre en  appétit. Donna Leon a d'ailleurs publié en 2011, «Brunetti passe à table» où elle propose des recettes dont il est fait mention dans ses livres. J'y ai d'ailleurs déniché la recette d'une délicieuse lasagne...

Donna Leon c'est une véritable entreprise. Ses romans qui se sont vendus à des millions d'exemplaires ont  bien sûr été traduits dans plusieurs langues et fait l'objet d'une série télé en Italie.

Chaque année depuis 1997,  on s'y colle. Pour avoir l'impression d'être à Venise qu'elle connaît si bien. Pour ses prises de position sur le tourisme de masse et les boutiques de pacotille qui ont remplacé le véritable artisanat vénitien et sur le pharaonique  projet Mose,  série de digues visant à contrer l'aqua alta,  qui s'est avéré être un des plus grands scandales financiers des dernières années.

Par contre, pour l'intrigue policière, il existe beaucoup mieux. Chez Camilleri, par exemple, pour rester en Italie.

28-07-21

Marguerite Duras / Madame Dodin (1954 et 1962)

La vilaine pipelette de la rue Sainte-Eulalie

Marguerite Duras est un phénomène littéraire et cinématographique. 

Je m'en souviens encore, c'était au milieu des années 70 au Festival des films du monde : nous étions allé voir «India Song» avec la bande d'amis de l'époque. On avait rigolé comme des béotiens, tant nous avions trouvé le film prétentieux et ennuyant.

Marguerite Duras, on l'adore ou on la déteste. Même dans les milieux littéraires, elle est loin de faire l'unanimité. Toujours est-il qu'elle a un style bien à elle.

À preuve ce petit récit d'à peine 75 pages qui vient tout juste d'être réédité dans la petite collection folio  2 euros, «Madame Dodin».

Madame Dodin est concierge au 5, de la rue Sainte-Eulalie à Paris. Elle est acâriatre, acrimonieuse, antipathique, excécrable. Elle déverse son fiel au quotidien en vidant les poubelles de l'immeuble. La voisine Mimi, qu'elle exploite, et Gaston le balayeur de la rue Sainte-Eulalie sont les seules personnes à qui elle adresse la parole. Et encore, ce sont des paroles creuses.

C'est un texte très fort sur la misère au quotidien... il y est beaucoup question, on s'en doute, des poubelles et tout ce qu'elles peuvent dire sur les locataires de l'immeuble. Elle résume sa vie avec ces propos plutôt acerbes :  «Pourquoi faut-il qu'il y en ait qu'une seule qui vide les chiures de cinquante autres.»

Un texte percutant  de M.D.

Son roman le plus célèbre demeure sans doute «L'Amant» paru en 1982 et qui lui valut le Prix Goncourt. Cette autofiction avant l'heure retrace  l'histoire de sa jeunesse en Indochine dans les années 30.

24-07-2021

Anne Hébert / L'enfant chargé de songes . Seuil 1992

Les songes de Julien...

Je ne souviens. C'était en mai 1992. Nous venions tout juste d'amménager dans notre maison en Montérégie. Anne Hébert était de passage au Québec pour la sortie de son roman «L'enfant chargé de songes».  J'étais très intimidé de lui demander une dédicace. Elle m'avait gentiment fait remarquer la similitude entre le prénom du personnage de son livre, Julien, et le mien.

Je viens tout juste de le relire. Dans ce court roman, on retrouve les thèmes chers à Anne Hébert : la campagne, la vie sauvage qui s'oppose à la ville, l'enfance et la perte de l'innocence .

L'action se passe dans les années 30 et quarante dans un lieu non précisé qui pourrait bien être Sainte-Catherine de Fossambault.  La rencontre avec la belle et vénéneuse Lydie  aura un impact déterminant sur la vie de Julien et de sa soeur Hélène.

Plus tard, Julien ira à Paris après la guerre pour mieux revenir au Québec où l'attend femme et enfant.

C'est un beau roman poétique - je pense qu'on peut dire ça - dans le style qui a fait la signature de cette très grande écrivaine.

Du coup - c'est bien français ça - j'ai envie de relire «Les Fous de Bassan».

21 juillet 2021

Marie-Andrée lamontagne / Anne Hébert, vivre pour écrire (2020) Biographie Boréal.

Une vie d'écrivain

« Je suis une fille maigre / Et j'ai de beaux os / J'ai pour eux des soins attentifs / Et d'étranges pitiés / Je les polis sans cesse / Comme de vieux métaux. »

Je me souviens.  C'était dans un cours de poésie au cegep en 1970. On nous avait donné à lire ce poème étrange auquel je n'avais rien compris mais que je trouvais intrigant.   Et puis, il y a eu la découverte de Saint-Denys Garneau et ses déroutants et sombres «Regards et jeux dans l'espace», le mythe entourant sa mort à 31 ans et ses rapports avec sa cousine Anne Hébert.

Toujours est-il que j'ai toujours été fasciné par Anne Hébert dont j'ai lu les livres au fil des années. Elle aura écrit des pages magnifiques sur le Québec, elle qui avait choisi  l'exil volontaire à Paris, où elle vivra plus de quarante ans, jusqu'à son retour au Québec à la fin des années 90. Elle mourra en janvier 1990 à 84 ans.

Que peut-on apprendre qu'on ne savait déjà sur la discrète écrivaine, elle qui disait avoir une vie banale entièrement consacrée à l'écriture. Cette biographie très bien documentée nous éclaire sur son enfance et sa jeunesse marquées par la mort et la maladie, les étés à Sainte-Catherine de Fossambault qui ont forgé le mythe du clan Hébert-De Saint-Denys-Garneau.

Et puis ce sera l'exil vers Paris, lieu de passage obligé pour les intellectuels dans les années 50. Elle y fera plusieurs allers-retours avant de s'y installer défnitivement en 1965. C'est depuis Paris qu'elle écrira les romans qui la rendront célèbre dont «Kamouraska» en 1971 et «Les fous de Bassan» qui lui vaudra le Prix Fémina en 1982.

Il sera aussi question de ses amitiés féminines qui auront donné lieu à toutes sortes de rumeurs et de sa relation amoureuse avec Roger Mame, fils d'une famille d'éditeurs, qui se sera échelonnée sur une vingtaine d'années sans jamais qu'ils ne vivent ensemble. Mais est-ce que cela est vraiment important pour apprécier l'oeuvre d'Anne Hébert?

On sera étonné d'apprendre qu'en 1978, René Lévesque lui aurait offert le poste de lieutenant gouverneur du Québec,  et pas étonné qu'elle ait refusé cet honneur.

D'ailleurs - et c'est là une grande qualité de cette biographie - toute la genèse de son oeuvre est très bien mise en évidence.

J'ai vraiment beaucoup aimé.

19 juillet 2021.

Testament à l'anglaise / Jonathan Coe

Meurtres et mystères au manoir de Winshaw Towers.

J'ai déjà eu l'occasion de parler de Jonathan Coe il y a quelque temps à la suite de la lecture de la trilogie sur l'histoire de l'Angleterre - Bienvenue au club / Le cercle fermé / Le coeur de l'Angleterre - (voir Lus Hiver-P 2021).

Je viens de terminer la lecture de «Testament à l'anglaise», son roman le plus connu, paru en 1994.

Et quelle saga que celle des Winshaw. La progéniture de Matthew et Frances Winshaw, cette richissime famille de l'establishment britannique, est un véritable nid d'escrocs que rien n'arrête pour parvenir à ses fins.  Chicanes de familles, traîtrises, conflits larvés, c'est tout un menu qui s'offre à Micheal Owen, écrivain en panne d'inspiration, looser dépressif, quand il se voit offrir, par un drôle de concours de circonstances, d'écrire l'histoire de cette famille hors normes.

C'est une lecture absolument jubilatoire.  C'est un roman à la structure très complexe - et c'est là le miracle - dont les différentes parties s'emboîtent parfaitement. C'est drôle et grave à la fois. Les« tatchéristes» en prennent pour leur rhume et il n'est pas tendre non plus envers l'establishment britannique.

La fin, véritable carnage dans le vieux manoir de Winshaw Towers, est digne d'un roman d'Agatha  Christie et du jeu de «Clue».

Ça fait 675 pages mais ça se lit comme du  petit lait!

P.S. Jonathan Coe a tous les talents. Il a fait un excellent disque instrumental en 2015 intitulé, avec beaucoup d'humour «Unnecessary Music». J'aime beaucoup❤.

13 juillet 2021.

Un Afghan à Paris / Mahmud Nasimi (2021)

Rencontres littéraires au Père Lachaise

Je termine tout juste  «Le sourire du chat» et voici que je viens de recevoir par la poste, un cadeau de mon frère pour mon anniversaire -  merci Claude -  ce petit livre «Un Afghan à Paris» plébiscité par l'animateur de La Grande Librairie . Comme je ne connaissais  ni le livre ni l'écrivain, j'ai écouté l'entrevue avec François Busnel.

Mahmud Nassimi qui a étudié en journalisme quitte Kaboul en 2013, destination l'Europe. Après avoir transigé par Bruxelles où il vit quelque temps, il arrive à Paris en 2017. Il vivra la vie difficile des demandeurs d'asile : l'itinérance, les dédales bureaucratiques, la pauvreté, l'exclusion.

Toutefois, une balade au cimetière du Père Lachaise lui ouvrira les portes de la culture française. Il fera la découverte de Balzac, de Proust, et d'Éluard pour ne nommer que ceux-la.

Ce sera d'ailleurs ses mentors qui lui permettront de parfaire son français. Après avoir publié «De loin, j'aperçois mon pays» en 2018, il vient de faire paraître «Un Afghan à Paris», à la fois un chant d'amour à la Ville Lumière, à la France et  sa littérature et un récit de sa vie à Kaboul.

Il aura suffi que François Busnel remarque ce court récit paru aux Éditions du Palais pour que la magie opère.

C'est un beau récit, entrecoupé de poèmes, parfois naïf, parfois touchant. On entendra sûrement  encore parler de lui.

4 juillet 2021.

Le sourire du chat / François Maspero (1984)

Le Chat joue à la guerre

Ce roman de François Maspero, paru en 1984, est dans ma bibliothèque depuis plusieurs années. Je pensais même l'avoir lu. Ces derniers temps, à cause d'un projet personnel, je me suis particulièrement intéressé à la Seconde Guerre mondiale. C'est ce dont il est question dans ce magnifique roman.

Luc Ponte-Serra, dit le Chat, a 13 ans à l'été 1944.  Il doit ce drôle de surnom à Antoine, son frère aîné qu'il adore. Ils sont inséparables.

Même si Paris a été libéré, la guerre n'est pas terminée pour autant. Antoine, 19 ans, a tué un officier allemand et a dû fuir Paris. Son père, sinologue et professeur au Collège de France, et sa mère ont été envoyés en camp de travail en Allemagne. Il se retrouve seul à Paris.

À pied, à vélo, en convoi militaire américain, le Chat parcourt la France dévastée à la recherche de son frère. Anxieux, révolté, rebelle, il a de la difficulté à se concentrer sur ses études au grand désespoir de sa tante qui l'a recueillie chez-elle. Il rend régulièrement visite à sa grand-mère, Lady Ponte-Serra entre deux escapades.

C'est une histoire très touchante, extrêmement bien racontée et très bien écrite. Une chronique douce-amère de la France de l'immédiate après-guerre. Un parmi les plus beaux romans sur la guerre que j'ai lus.

Deux autres ouvrages sur la guerre (celle de 14-18) que j'ai beaucoup aimés :

- Christophe Malavoy : «Un parmi tant d'autres.» (1996)

- Jean-Christophe Rufin : «Le collier rouge.»  (2014)

2 juillet 2021.

Alaa El Aswany / J'ai couru vers le Nil

En direct de la place Tahrir... histoire d'une révolution

J'ai déjà eu l'occasion de parler de l'incroyable talent de conteur de l'auteur égyptien Alaa El Aswany, notamment avec la lecture de son précédent roman «Automobile Club d'Égypte».

«J'ai couru vers le Nil» est un magnifique roman chorale qui retrace l'immense mobilisation populaire autour de la place Tahrir au printemps 2011, dans le contexte de ce qu'on a appelé« le printemps arabe».

On suit le parcours d'Asma et Mazen qui se sont connus au cours d'une réunion politique  et dont l'histoire est racontée à travers un échange de messages ; Khaled et Dania, tous deux étudiants en médecine, et provenant de milieux sociaux différents vivront un destin tragique.

Achraf, acteur qui n'a vraiment réussi à percer, est copte. Il assistera aux événements de la place Tahrir depuis le balcon de son grand appartement avant de s'investir à fond dans la révolution et de vivre pleinememt son histoire d'amour avec Akram, sa bonne,  au grand dam de sa femme et de ses enfants.

Du côté des opposants à la révolution, il y a le général Alouani, chef de la Sécurité d'État, dont la fille Dania mène la lutte avec les manifestants et Nourhane, l'ambitieuse présentatrice télé prête à tout pour gravir les échelons de la célébrité.

Cette révolution de surface, qui mènera au départ d'Hosni Moubarak, aura fait de nombreux morts qu'on appelera  les martyrs de la révolution. La mort de  Khaled, le jeune étudiant en médecine abattu froidement, laissera son père inconsolable. Il n'aura de cesse d'obtenir justice.

 La corruption du système alimentée par des médias au service du pouvoir et une armée assoifée de pouvoir auront eu raison de tous ces efforts. Alaa El Aswany n'est pas tendre envers son pays. Preuve que les choses n'ont pas vraiment changé, le livre est toujours interdit de publication en Égypte.

Petit jeu de mots facile en terminant : si ce n'est pas déjà fait, courez vers votre bibliothèque ou votre librairie pour vous procurer ce merveilleux roman.

23 juin 2021.