Patrick Modiano / Encre sympathique (2019)
« À mesure que je tente de mettre à jour ma recherche, j'éprouve une impression très étrange. Il me semble que tout était déjà écrit à l'encre sympathique. Quelle est dans le dictionnaire sa définition? Encre qui, incolore quand on l'emploie, noircit à l'action d'une substance déterminée.(p.91)
Voilà qui résume bien «Encre sympathique», le vingt-neuvième roman de Patrick Modiano. Cette fois-ci, c'est dans le XVe arrondissement de Paris que Modiano mène sa recherche sur une certaine Noëlle Lefebvre disparue dans les annés 60. Son enquête le mènera à Rome à la recherche de l'énigmatique jeune femme.
Personnages flous, lignes de fuite, c'est tout l'univers de Modiano que l'on retrouve encore une fois.
En lisant «Encre sympathique», on ne peut s'empêcher d'avoir en tête la chanson interprétée par Jeanne Moreau : «J'ai la mémoire qui flanche, je ne me souviens plus très bien».
C'est toute l'oeuvre de Patrick Modiano.
Si vous ne deviez lire que trois romans de Modiano : « Rue des boutiques obscures » (1978) «Dora Bruder» (1999) et Un pedigree» (2005).
2 décembre 2019
Yann Moix / Orléans
L'auteur est tellement sulfureux qu'il est difficile de parler de ce livre, Orléans, sans a priori.
Ici, on connaît surtout Yann Moix comme le peu sympathique (et c'est un euphémisme) accolyte de Christine Angot à l'émission «On n'est pas couché» sur France 2. Il a depuis été remercié suite à une polémique sur des dessins antisémites publiés quand il était dans la vingtaine.
Essayons de dissocier l'auteur de l'oeuvre. C'est dans l'air du temps.
Orléans est un roman très symétrique, construit en deux temps : « Dedans», raconte dans les détails les sévices que lui auraient fait subir ses parents dès son enfance. Quant à « Dehors», il raconte les années scolaires marquées par les échecs amoureux auprès des filles qu'il tente de séduire par des écrits, parfois de son cru et d'autres fois carrément plagiés. Du véritable harcèlement.
Comme il le dit lui-même, son projet était d'écrire un roman d'humiliation comme d'autres parlent de roman d'initiation. C'est réussi!
Vrai ou faux? Roman ou auto-fiction?
Toujours est-il que Orléans est un récit troublant dans sa première partie (c'est un genre d'Aurore l'enfant martyre) et un peu pompeux dans sa seconde moitié : fasciné par André Gide qu'il considère comme son véritable guide, c'est écrit dans un style abusant du passé simple et du plus-que-parfait du subjonctif. C'est comme s'il voulait démontrer qu'il a des lettres et qu'il est capable d'égaler le maître.
J'ai trouvé cette seconde partie particulièrement lourde et manquant un peu de naturel.
Si vous voulez en savoir plus sur toute la saga entourant la sortie de l'ouvrage, je vous suggère la lecture de l'entrevue accordée par Yann Moix à Claire Chazal. (LIRE, no 478, septembre 2019, numéro spécial rentrée littéraire.)
Orahan Pamuk / La femme aux cheveux roux (2018)
Orhan Pamuk compte, avec Patrick Modiano, Paul Auster et Haruki Murakami parmi mes écrivains préférés. Il est à Istanbul ce que Modiano est à Paris, Auster à New-York et Murakami à Tokyo.
Lauréat du Prix Nobel en 2006, il signe avec «La femme aux cheveux roux» son dixième roman. Le jeune Cem, élevé par sa mère, travaille comme aide puisatier le temps d'un été, histoire de gagner un peu d'argent avant son entrée à l'université. Son père ayant quitté le foyer, Cem recherche rapidement chez Maître Mahmut, le puisatier, la figure du père manquant. C'est aussi au cours de cet été qu'il fera la rencontre de la femme aux cheveux roux, de presque quinze ans son ainée, une comédienne faisant partie d'une troupe ambulante, qui l'initiera à l'amour. Cette rencontre ainsi qu'un accident survenu sur le chantier du puits seront déterminants pour lui.
Véritable roman d'initiation, cette recherche identitaire de la figure du père conduira Cem vers un destin insoupconné. Ohran Pamuk est un fabuleux conteur. Son récit, empreint de la figure d'Oedipe et de Rostam (l'équivalent d'Oedipe dans la mythologie iranienne), met en opposition la dualité père-fils et nous conduit vers un dénouement inattendu. C'est raconté de manière extrêmement brillante.
Un grand plaisir de lecture, comme toujours chez Pamuk. À lire aussi (du moins ce sont ceux que j'ai lus) : Neige (2002) / Istanbul (2003) / Le musée de l'innocence (2007) / Cette chose étrange en moi (2018) / Cevedet Bey et ses fils (2014 pour la traduction française : c'est son premier roman paru en 1982, en turc)
Margaret Atwood / La servante écarlate
ll aura fallu que j'attende la sortie de la série sur Netflix (que je n'ai toujours pas vue d'ailleurs) pour que je me décide à lire «La servante écarlate».
Ce roman dystopique dans la veine de 1984 de George Orwell m'avait toujours impressionné. Je pensais cette oeuvre austère, difficile d'accès et ma foi, un peu ennuyeuse. Impressionné, je l'étais aussi comme on l'est souvent devant de grandes oeuvres devant lesquelles on a peur de ne pas être à la hauteur.
h bien, j'avais tort. C'est un roman sombre, certes mais fascinant. On connaît l'histoire : dans un monde qui a basculé dans une sorte de totalitarisme, des femmes sont séquestrées pour servir de matrice reproductrice pour les familles privilégiées désireuses mais incapables d'avoir des enfants.
Dans cet univers à la Big Brother, à l'instar des autres femmes vêtues d'écarlate et coiffées d'une étrange coiffe, Delfred accomplit son devoir comme une automate tout en se rappellant l'époque d'avant la République des fanatiques religieux où elle vivait avec son mari et sa fille.
C'est froid, c'est austère, c'est oppressant, dans un lieu et à une époque qui ne sont jamais nommés. C'est aussi un grand récit féministe qui dit beaucoup sur la condition des femmes.
Et c'est magnifiquement bien écrit.
Tom Sharpe / Panique à Porterhouse (1998)
Si vous aimez l'humour britannique un peu déjanté, Panique à Porterhouse devrait vous faire passer un bon moment.
Auteur de plus d'une quarantaine de romans, Tom Sharpe (décédé en 2013) se spécialise dans la satyre sociale et décrit à merveille les travers de l'aristocratie britannique. À l'instar de David Lodge, plusieurs de ses romans se déroulent dans le milieu universitaire. C'est le cas de Panique à Porterhouse.
Le plus vieux collège de Cambridge a connu des jours meilleurs. Il est au bord de la faillite, et les bâtiments nécessitent des réparations urgentes. Bref, on a besoin d'argent. De plus, l'ancien maître du collège étant mort de manière inexpliquée, l'enquête est menée par un nouveau professeur engagée par sa veuve pour faire la lumière sur cette affaire.
De fil en aiguille, le Collège se retrouve aux prises avec un riche gangster désirant se faire oublier qui deviendra directeur du collège en échange d'une grosse somme d'argent.
Bref c'est lufoque à souhait. Un genre de polar british gastronomique (et quand on connaît la gastrononomie anglaise traditionnelle...) plein de rebondissements.
Un bon divertissement.
Toutefois, le maître dans le genre demeure pour moi, David Lodge.
Yasmina Khadra / L'outrage fait à sarah Ikker (2019)
Yasmina Khadra est une véritable machine à écrire, au sens littéral du terme.
L'écrivain d'origine algérienne qui écrit sous pseudonyme (il utilise le prénon de sa femme) a publié plus de vingt-cinq romans au cours des vingt dernières années. On lui doit entre autres «Les hirondelles de Kaboul» (2002), «Les sirènes de Bagdad» (2004) et plus récemment «Khalil» (2018) qui explore l'imaginaire et les motivations d'un jeune kamikaze.
Ce roman coup de poing sur la radicalisation, m'avait énormément touché, l'intérêt principal étant de démonter les mécanismes qui amènent à des gestes aussi radicaux que les attentats de Paris en novembre 2015.
Cette fois-ci, notre prolifique auteur change complètement de registre. Nous sommes dans un polar, genre série noire, qui se déroule à Tanger. La femme de Driss Ikker, lieutenant de police, aurait été agressée sexuellement. Sarah Ikker est la fille adorée du patron de Driss. C'est important de le mentionner. À partir de là, le lieutenant Ikker perd littéralement les pédales et enquête de façon sauvage et intempestive (même s'il n'y est pas autorisé) afin de découvrir le coupable. Il bouscule tout sur son passage. On n'est pas au bout de nos surprises. Les tribulations d'une luxueuse paire de boutons de manchettes Boucheron servent de fil conducteur à l'enquête.
Ça se lit rapidement et facilement. C'est comme regarder une bonne série policière à la télé. La fin est imprévisible, d'autant plus qu'elle se termine par la mention ...à suivre. On comprend en retournant à la page titre qu'il s'agit du tome 1.
Compte tenu du rythme d'écriture de notre auteur, on peut supposer que le lieutenant Driss Ikker reviendra à la charge pour la suite des choses... mais quelle suite?
Et si on venait d'assister à la naissance d'un Brunetti ou d'un Montalbano algérien....pourquoi pas!
Philippe Lançon / Le lambeau (2018)
Philippe Lançon, journaliste à Libération et à Charlie Hebdo, a survécu à l'attentat terroriste de janvier 2015.
Dans ce récit qui a reçu le Prix Fémina 2018, il raconte son long retour à la vie et les étaples de sa reconstruction (au sens propre comme au figuré) . C'est un récit sur la résilience, sans complaisance et sans apitoiement.
Philippe Lançon est un grand bavard, il le dit lui-même. Privé de la parole pendant des mois, il consigne sur une tablette ses états d'âme, l'évolution du travail de sa chirurgienne Chloé en revenant de façon épisodique sur cette journée fatidique du 7 janvier 2015. Il salue le travail du personnel soignant, des policiers qui assureront sa garde pendant des mois, le soutien indéfectible de son frère, de ses parents. À cette petite cour s'ajoute aussi ses amis, ses amours.
Tout le récit est truffé de références littéraires, musicales, cinématographiques qui ont accompagné son parcours : de Proust à Kafka en passant par Bach et Nietzsche. J'ai ainsi pu l'accompagner sur une centaine de pages en écoutant l'Art de la fugue de Bach par la pianiste chinoise Zhu Xiao-Mei ou encore les Variations Goldberg par Glenn Gould. Ça rajoute au plaisir de lire.
C'est un peu long (il est bavard Philippe Lançon) mais jamais ennuyant. Un grand livre.
Attention toutefois : il faut passer le cap des cinquante premières pages qui sont un peu laborieuses... Je suis curieux de lire ses ouvrages précédents, «Les îles» (2011) et «l'Élan» (2013).
Karl Ove Knausgaard / Mon Combat
Qu'est-ce qui peut bien pousser quelqu'un à vouloir se livrer avec une telle impudeur?
La volonté de devenir écrivain à tout prix, la volonté de régler ses comptes avec son père et de récrire son enfance? Ajouté à cela la lecture marquante de «la Recherche du temps perdu» de Marcel Proust et vous avez à peu près les principales motivations de Karl Ove Knausgaard à se lancer dans cette aventure.
Et quelle aventure : tout d'abord l'ensemble de l'oeuvre est coiffé du titre «Min Kamp», en norvégien, «Mon combat» qui n'est pas sans rappeler un titre tristement célèbre. Un soupçon de provocation ? Véritable phénomène littéraire, cet ensemble de 6 romans ne laisse personne indifférent.
Vllipendé par certains, plébiscité par d'autres, toujours est-il que Mon combat s'est vendu à des milions d'exemplaires et a été traduit en plusieurs langues.
L. I : La mort d'un père L. II : Un homme amoureux L. III : Jeune homme L. IV : Aux confins du monde L. V : Comme il pleut sur la vie L. VI :The End (à paraître en français)
Je viens de terminer la lecture du livre 1. Knausgaard n'est pas avare de détails. Il décrit son enfance, ses rapports difficiles avec ce père austère, sa déchéance, lui qui s'est littéralement suicidé par l'alcool sur une période de deux ans. La description clinique de l'état de délabrement et d'insalubrité de la maison où il vivait reclus avec sa mère (grand-mère de l'auteur) est saisissante.
Certains lui ont reproché sa complaisance dans les détails, et la longueur de ses livres (ils font plus de 500 pages chacun). C'est une autofiction impudique qui peut parfois rendre le lecteur mal à l'aise mais qui ne laisse pas indifférent : on aime ou on déteste.
Pour ma part, je suis assez perplexe. J'ai été parfois agacé par l'accumulation de détails, mais fasciné par cette manière de s'auto dépeindre (on se reconnaît parfois ) mais toutefois assez curieux pour entreprendre le second tome : Un homme amoureux. Cette fois-ci, devenu père, écrivain reconnu et vivant à Stockholm, il relate les grandeurs et les misères de la vie de famille (il a 3 enfants). J'en suis à une centaine de pages sur les 700 de ce second volet de «Mon combat». À suivre.
Ce deuxième livre de la série «Mon combat» explore cette fois les étapes du sentiment amoureux. Avec ce même sens de l'introspection que dans La mort d'un père, Knausgaard relate sa relation avec sa compagne suédoise, Linda, la mère de ses trois enfants. Vivant à Stockholm (il a quitté la Norvège), il partage son temps entre l'écriture et les enfants.
On ne peut pas dire que sa vie est un long fleuve tranquille. Tiraillé sans cesse entre le désir d'être un bon père et la peur d'abdiquer sa liberté, tout ne tient qu'à un fil. Les moments de désespoir succèdent aux moments d'euphorie.
Encore une fois, il n'est pas avare de détails : le quotidien est scruté à la lettre : du contenu des sacs poubelles à la description détailiée d'un repas en tête à tête avec sa femme ou encore des trajets qu'il emprunte à travers Stockholm, les desriptions sont extrêment réalistes. Le récit oscille parfois entre des moments d'une grande banalité suivis d'autres extrêmement forts. Le livre fait plus de 700 pages, sans chapitres.
Rédhibitoire, me direz-vous! Pas vraiment!
Pour je ne sais pas trop quelle raison, ce livre est fascinant. Il participe à la fois de l'extrêmement intime et de l'universel. À un moment ou à un autre, on se reconnait à travers ses doutes et ses hésitations. Le livre III, Jeune homme, revient sur son enfance et son adolescence dans le sud de la Norvège. Je le mets en file d'attente sur mon bureau. Je vais lire autre chose entre temps.
Avec Jeune homme, Karl Ove Knausgaard poursuit l'histoire de sa vie dans ce troisième tome de son combat.
Il revient sur son enfance dans le sud de la Norvège dans les années 70. Avec la même intensité et la même impudeur que dans les tomes précédents, il raconte ses premières années à l'école, son adaptation parfois difficile avec ses compagnons de classe.
C'est aussi le récit des quatre cents coups de la pré-adolescence. Ce père imprévisible, souvent brutal dont il avait déjà dressé un portrait dans Mort d'un père vient de nouveau le hanter.
Mal dans sa peau, ayant une propension aux idées suicidaires, le jeune Karl Ove est pourtant motivé par un désir de dépassement, autant dans les sports, où il n'excelle pas particulièrement, que dans les matières scolaires. Ce sera aussi l'époque des permières amours souvent contrariées et de l'éveil à la sexualité.
Son écriture est toujours aussi intense et le souci du détail qui le caractérise est encore ici bien présent. Bien qu'il y ait peu de ressemblance entre le Paris bourgeois de la fin du 19e siècle et la Norvège des années 70, l'entreprise littéraire de «Mon combat» n'est pas sans rappeler celle de «À la recherche du temps perdu». L'auteur a dit d'aileurs avoir été fasciné par l'oeuvre de Proust.
Dans le livre IV, Aux confins du monde , Karl Ove Knausgaard nous amène en Islande où il a occupé un poste d'enseignant. Il a 18 ans. À suivre.
Aux confins du monde , le livre IV de la saga de Karl Ove Knausgaard est un petit village du nord de la Norvège dans la région des fjords.
C'est là que débarque le jeune Knausgaard agé de 18 ans engagé comme enseignant dans cette petite communauté de pêcheurs de quelques centaines de personnes. C'est une communauté tricoté serrée. Tout le monde se connaît là-bas et la venue d'un étranger est toujours un sujet de curiosité. D'autant plus, lorsque l'on vient du sud, que l'on s'habille en noir et qu'on porte un bérêt à la Che Guevara.
Avec le même sens aigü de l'introspection, il relate cette année charnière dans sa vie. Il a 18 ans, il fait la fête les fins de semaine, il boit beaucoup. Son désir de coucher avec une fille devient une véritable obsession. Avec un sens du détail presque clinique, il relate ses premiers échecs amoureux. Toutefois, il ne peut s'empêcher de revenir en arrière sur les deux années qui ont précédé son départ à Hàfjord : ses rapports difficiles avec son père et le divorce de ses parents.
C'est entre autre ce qui fait la complexité de cette autobiographie tout en aller-retour, rarement racontée de façon linéaire. Je persiste et devrais entamer bientôt le livre V, Comme il pleut sur la vie.
Sophie Guilliou / Romy Schneider (2014)
C'est court.
À peine cent pages.
Ce n'est pas la première biographie de l'actrice née en Autriche en 1938. Toutefois, celle-ci a l'avantage d'être bien écrite, d'aller à l'essentiel et de bien décrire la fragilité de cette actrice au destin tragique.
Partant du tournage difficile de son dernier film en 1981 à Berlin «La passante du Sans-Souci», Sophie Guillou retrace les grandes étapes de sa vie qui l'ont menée à sa fin inexpliquée en mai 1982. Ses amours difficiles ainsi que la perte de son fils, mort tragiquement, sont évoqués avec beaucoup de finesse et de retenue.
Pour moi qui n'avais jamais lu une biographie de cette grande actrice, ce fut une belle découverte que ce livre déniché par hasard à la Coop universitaire de l'ÉTS.
Alain Bourgrain Dubourg...../ Lettre des animaux à ceux qui les prennent pour des bêtes. (2019)
L'idée vous est sûrement déjà passée par la tête : et si les animaux pouvaient parler... qu'auraient-ils à nous raconter sur les humains.
Ardent défenseur des animaux, administrateur de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, chroniqueur, Allain Bougrain Dubourg leur donne la parole.
Au banc des accusés : l'éleveur de cochon, les chasseurs utilisant le lévrier espagnol, les éleveurs de lapin, les toreros, les coupeurs d'ailerons de requins, les braconniers de l'ortolan, et d'autres encore.
Le pire dans tout ça, c 'est que l'on réalise que tous ces animaux subissent ces sévices pour des raisons bien futiles.
Laurent Binet / La septième fonction du langage (2005)
Suivez le lien suivant pour l'entrevue avec Laurent Binet et la discussion avec Yoan Moïx à en 2015 à la sortie du livre.
youtu.be/ZcMeq_OkCY4
Le 25 février 1980, Roland Barthes, l'auteur entre autre des «Mythologies», du « Degré zéro de l'écriture » et de « Fragments du discours amoureux », le grand gourou de la sémiologie, professeur au Collège de France est renversé par une camionnette, rue des Écoles en face du célèbre collège. Il mourra des suites de cet accident un mois plus tard.
On apprendra qu'il revenait d'un dîner avec François Mitterand qui aimait organiser des rencontres avec l'élite intellectuelle. On est à moins d'un an des Présidentielles de 1981.
Il n'en fallait pas plus à Laurent Binet, pour échafauder une histoire invraisemblable autour de la mort de Barthes. Qui a bien pu vouloir tuer Roland Barthes et pourquoi?
Et s'il détenait la septième fonction du langage (Roman Jakobson en a déjà répertorié six), celle dite performative qui permet de gagner toutes les joutes oratoires et de convaincre par la brillance de ses arguments. En période électorale, c'est un atout précieux.
S'en suit un véritable thriller à la «Da Vinci Code » où est convié tout le gratin de la French Theory des années 80. Michel Foucault en tête, Jacques Derrida, Philippe Sollers et Julia Kristeva, Bernard-Henry Lévy, Umberto Eco seront poursuivis par Jacques Bayard, le policier chargé de l'enquête accompagné de Simon Herzog, un apprenti sémiologue qui lui sert de guide et de décodeur dans tout ce labyrinthe structuro-sémio-discursif.
On voyagera de Paris, à l'université de Cornell aux États-Unis (où Michel Foucault est une véritable star) en passant par Venise où se déroulent des joutes oratoires assez sanguinaires.
Oui, « La septième fonction du langage » peut être perçu comme irrévérencieux envers cette intelligenstia qui a fait la pluie et le beau temps en France et aux États-Unis durant la décennie 1980-1990. Toutefois, l'auteur ayant lui-même étudié et enseigné l'oeuvre de Roland Barthes, fait tout de même preuve d'une grande érudition, notamment lorsqu'il pastiche un cours de sémiologie portant sur la signification du code 007 de James Bond.
Au final, c'est un roman truculent. Il y a beaucoup de sexe, de l'étalage de culture, notamment dans ce récit d'un dîner chez Julia Kristeva et Philippe Sollers en compagnie de Bernard Henri-Lévy, de Jacques Lacan, et de Tzvetan Todorov accompagnée d'une certaine féministe canadienne qui pourrait bien être Nancy Houston.
Bien sûr, si on a quelque peu lu ou étudié Barthes ou Foucault ça peut rendre la lecture plus jouissive... mais ce n'est pas essentiel. Ça demeure un thriller assez unique en son genre..
Laurent Binet / HHHH (2010)
Tout d'abord ce titre nécessite une explication.
«HHhH» est l'acnonyme allemand de « Himmlers Hirn heißt Heydrich » qui signifie littéralement le cerveau d'Himmler s'appelle Heydrich.
On voit déjà la belle galerie de personnages qui se dessine à l'horizon. «HHhH» raconte l'opération menée par deux parachustistes tchèques mandatés par Londres en 1942 pour éliminer Reinarth Heydrich, celui qu'on a surnommé le bourreau de Prague, l'instigateur de la solution finale. Un personnage à donner froid dans le dos.
La Tchécoslovaquie a été annexée de force par Hitler et c'est Heydrich qui est le représentant du Reich à Prague. Cette histoire a déjà été racontée à plusieurs reprises.
Quel est donc l'intérêt de ce roman qui a valu à Laurent Binet (La septième fonction du langage) le prix Goncourt du premier roman en 2009. C'est justement la forme de ce roman qui en fait tout son intérêt.
Dans «HHhH», Laurent Binet démonte les mécanismes de l'écrivain tiraillé entre la fiction et la vérité historique. Il fait référence à des ouvrages écrits sur le sujet (notamment «Les bienveillantes» de Jonathan Littell), compare et critique les informations. Il devient même personnage du roman.
Ça peut sembler un peu déconcertant au début mais le rythme et la finesse de l'écriture, l'humour légèrement décalé font en sorte qu'on se laisse rapidement happer par ce récit truculent.
Au final, on y gagne sur les deux plans : l'opération «Anthropoïde» est restituée au mieux dans sa vérité historique et en même temps on découvre l'envers du décor de l'écrivain dans la construction de son récit.
J'ai trouvé de livre absolument fabuleux. Un de mes bons moments de lecture et la confirmation d'un écrivain de talent.
À lire dans le même esprit : «L'ordre du jour» d'Éric Vuillard, prix Goncourt 2017. La réunion de 12 industriels allemands avec Göring au moment de l'annexion de l'Autriche par la Wehrmacht.
Pauline Dreyfuss / le déjeuner des barricades (2017)
J'ai déjà écrit que j'étais un grand lecteur de Patrick Modiano que je lis depuis les années 80.
Je l'avais découvert avec «Rue des boutiques obscures» paru en 1978 et récipendaire du Prix Goncourt. Toujours est-il que lorsque Ginette m'a parlé d'un roman autour de Patrick Modiano, ça a piqué ma curiosité.
«Le déjeuner des barricades» fait référence à mai 68, année où un jeune écrivain de 22 ans, Patrick Modiano doit recevoir le prix Roger Nimier pour son premier roman «La Place de l'Étoile».
Y-a-t-il là matière à roman. Oui et comment.
Premièrement le prix doit être remis au chic hôtel Meurice, rue de Rivoli à Paris. La grève fait rage à Paris comme partout en France. Comment peut fonctionner un grand hôtel lorsqu'il est occupé par ses employés. Jeux de pouvoirs et redéfinition des tâches assurés. La hiérarchie en prend pour son rhume. Rappelons nous un des slogans de Mai 68 : « Il est interdit d'interdire».
Deuxièment, c'est la richissime mécène américaine Florence Gould qui finance le prix. Déjà, un personnage de roman. Finalement, ajouté à cela, les égo des membres du jury, les plans de tables finement étudiés, les querelles de chapelles typiquement parisiennes et vous avez là un savoureux roman.
Ernest Hemingway / Paris est une fête (1963)
J'avais déjà lu « Paris et une fête» vers la fin des années 70, à une époque où je lisais beaucoup Francis Scott Fitzgerald (1896-1940), l'auteur entre autre de «Gatsby le magnifique», et de «Tendre est la nuit». Il incarnait pour moi la quintessence du romantisme.
Pourquoi de lien? Parce que dans «Paris est une fête», qui relate les années parisiennes d'Hemingway avec sa première femme, Hadley (il se mariera quatre fois), il est beaucoup question de sa rencontre avec Fitzgerald et de sa femme Zelda au milieu des années 20.
Ce livre écrit peu de temps avant sa mort en 1961 sera publié en 1964.
C'est donc un récit empreint de la nostalgie des belles années, pauvres mais heureuses, comme il le dit lui-même. C'est un hymne à la beauté de Paris, à l'amitié, aux rencontres. Durant ces années, Hemingway et sa femme partagent leur temps entre Paris et l'Autriche où ils passent l'hiver à skier. C'est durant ces années qu'il décide de se consacrer à l'écriture. Il fait la rencontre de Gertrude Stein, mécène et écrivaine ainsi que de Sylvia Beach, la libraire américaine de la rue de l'Odéon. La Closerie des Lilas devient vite son quartier général, à l'instar d'autres écrivains qui y ont leurs habitudes : James Joyce, Erza Pound, Blaise Cendrars pour ne nommer que ceux-là.
Une relecture qui donne le goût de replonger dans la lecture de Fitzgerald.
Une suggestion : Francis Scott Fitzgerald «Un livre à soi et autres écrits personnels», Paris, 2011, éd. «Les Belles lettres» C'est une collection de textes parus dans des magazines ainsi que des écrits plus personnels jamais publiés auparavant. Éclairant sur la vie de l'auteur.
Metin Arditi / Loin des bras (2009)
«Loin des bras», est un roman chorale.
Je ne sais pas si on peut utiliser cette expression parlant d'un roman (on l'utilise au cinéma). Toujours est-il que le roman de Metin Arditi raconte les destins croisés de plusieurs personnes, notamment des enseignants, dans un collège privé à Lausanne.
Nous sommes en 1959. L'institut qui accueille des garçons de riches connaît des déboires financiers. Madame Alderson, directrice et fondatrice de de l'institut, doit vite trouver une solution. La vente à un conglomérat américain est envisagée. L'avenir des enseignants est loin d'être assuré.
Le roman suit de parcours des enseignants, de la directrice et de sa soeur. Tout le monde a des squelettes dans le placard, certains reliés à la Deuxième Guerre mondiale, d'autres à des affaires familiales.
Le récit est découpé en courts chapitres (ce qui donne un rythme de lecture très dynamique) et resserré sur la période de «crise» entre septembre et décembre 1959. Quant au titre «Loin des bras», l'explication que j'y vois c'est que ces garçons envoyés dans ce riche institut sont loin de leurs parents qu'ils voient seulement aux vacances.
Encore là, une très belle découverte.
Autre roman de l'auteur : «L'enfant qui mesurait le monde» (2016).
Kaouther Adimi / Nos richesses (2017)
Je suis tombé sur ce livre tout à fait par hasard.
Le quatrième de couverture m'a tout de suite intéressé.
Edmond Charlot, le personnage principal, je me suis demandé s'il avait bel et bien existé. Et bien oui, comme la librairie « Les vraies richesses » à Alger dont il est fait mention dans cette fiction historique de Kaouther Adimi.
Edmond Charlot est né en 1915 à Alger et est mort en France (à Béziers) en 2002. Il fut le premier éditeur de Camus et d'Emmanuel Roblès. Il s'est impliqué dans la guerre d'Algérie et a continué son métier d'éditeur en France jusqu'à sa mort. Voilà pour la partie historique.
En 2017, Ryad, un étudiant ingénieur parisien est chargé, dans le cadre d'un stage ouvrier, d'aller fermer la librairie «Les vraies richesses. Il y rencontre Abdallah, le gardien des lieux fermés depuis plusieurs années. Le local a été acheté et on y ouvrira sous peu une boutique de beignets. C'est sûrement la partie fictionnelle du livre.
L'auteure prend d'ailleurs un malin plaisir à bouiller les pistes. À partir des carnets d'Edmond Charlot (réels et /ou inventés), elle retrace «la vie» de cette librairie mythique d'Alger qui a vu les débuts d'écrivain d'Albert Camus, d'Emmanuel Roblès, d'Albert Cossery et d'autres auteurs méditerranéens.
C'est très bien documenté. L'alternance entre l'arrivée de Ryad en 2017 et la lecture des carnets d'Edmond Charlot qui s'échelonnent de 1935 à 1961 donne un rythme très dynamique à la lecture.
J'ai lu ce très beau petit livre en pensant à l'ami libraire, Michel Bouchard, décédé il y a tout juste quelques semaines. Peut-être a-t-il lu ce livre, sinon je suis sûr qu'il aurait aimé.
Salut Michel!
L'idée de relire «Le libraire» m'est venue à la suite de la lecture de «Nos richesses». Restons dans le monde des livres.
J'avais déjà lu ce classique de la littérature québécoise au secondaire V ou en première année de cegep, si je me souviens bien.
Ça raconte l'histoire d'Hervé qui débarque dans un petit village très conservateur pour occuper le poste de libraire chez Léon. On y vend entre autres, sous le couvert, des livres mis à l'index par le Curé de Saint-Joachin. C'est le fameux capharnaüm.
On l'aura deviné, il s'agit d'une critique acerbe d'un Québec rural à cheval entre le duplessisme et les débuts de la Révolution tranquille. L'histoire se déroule au début des années 60. Hervé Jodoin est l'anti-héros par excellence. Il est nihiliste, cynique et paresseux. Il ne s'intéresse à rien, ne lit plus depuis des années. Son seul passe-temps est d'aller se saouler à la taverne Chez Treffé après son travail jusqu'à la fermeture. Il n'est pas sans rappeler Meurseault dans «l'Étranger» de Camus.
C'est déjà un exploit de consacrer plus de 140 pages à un personnage aussi fade et antipathique.
Ça vaut-il la peine de relire «Le libraire» pour autant? Oui pour la description d'un Québec rural englué dans ses vieilles valeurs et pour le cynisme de certaines répliques du personnage
Une clé USB tombée du sac d'un lobbyiste à l'emploi d'une multi nationale chinoise, John Stravopoulos, et voici que Jean Detrez, spécialiste des questions de sécurité informatique à la Commission européenne, va s'embarquer dans une aventure qui le mènera à faire un court arrêt incognito en Chine, à Dalian, en route vers Tokyo où il doit donner une conférence au colloque international Blockchain & Bitcoin Prospects.
Multipliant les mensonges et les omissions, notre héros se retrouve dans une situation embarassante, impliqué dans ce qui pourrait ressembler à de l'espionnage industriel et en même temps, il découvre que les affaires de la multinationale chinoise ne sont pas très nettes.
Après avoir exploré le monde de la mode dans les quatre romans consacrés à Marie (MMMM) c'est dans le monde de l'espionnage industriel que nous amène cette fois Jean-Philippe Toussaint.
Encore une fois, c'est une écriture très élégante, soucieuse des détails. Tout est très bien documenté. Jean-Philippe Toussaint aime les aéroports, le Japon, les grands hôtels. C'est un univers qu'il décrit très bien dans plusieurs de ses romans.
De Jean-Philippe Toussaint, il faut absolument lire les 4 romans consacrés au personnage de Marie.
• Faire l'amour (2002) • Fuir (2005) • La vérité sur Marie (2009) • Nue (2013) •
Et une curiosité : «La mélancolie de Zidane» . Une réflexion de 16 pages sur le coup de tête de Zidane au stade de Berlin le 9 juillet 2006. Toute l'oeuvre de Jean-Philippe Toussaint est publiée aux Éditions de Minuit.
Encore une fois, je suis tombé sur ce livre tout à fait par hasard.
Je ne connaisssais absolument pas cet auteur.
J'ai tout de suite été intrigué par ce titre qui fait presque figure d' oxymore «Ta femme me trompe»
L'auteur définit son roman comme une sorte de vaudeville. En fait c'est l'histoire de l'amant frustré... C'est écrit en 68 courts chapitres sur 137 pages. C'est drôle, décomplexé, parfois un peu tordu.
Un beau court moment de lecture. Sans plus!
I'ts only Rock'n'roll, but I like it.
Ce n'est pas une nouveauté. L'ouvrage date de 2010.
Manque de temps, nombre de pages (plus de 625 pages), toujours est-il que «Life» traînait dans ma bibliothèque depuis plusieurs années. Et puis, je me demandais si la vie de Keith Richards m'intéressait suffisamment pour que j'y consacre plusieures heures de lecture.
Eh bien, je n'ai pas été déçu. La vie de Keith Richards, pour utiliser une formule cliché, on pourrait la résumer par Sex and Drug and Rock'n'roll.
Mais surtout, beaucoup rock'n'roll, car on découvre à travers cette biographie que Richards est un véritable musicien, un passionné de musique très influencé par le blues. Il est véritablement l'âme musicale des Rolling Stones.
Il est excessif et cultive à souhait l'image du rocker un peu voyou, disons-le. L'image qu'il donne de lui n'est pas toujours flatteuse.
De son addiction à l'héroïne en passant par sa vie tumultueuse avec Anita Pallenberg et ses démêlés avec la justice sans oublier sa relation en dents de scie avec Brian Jones et Mick Jagger, il se livre avec beaucoup de sincérité.
C'est aussi un livre sur le rock, sur la guitare (il en possédait toute une collection) et aussi sur la création de chansons aussi célèbres que «Satisfaction», «Gimme Shelter», «Honky Tonk Woman», etc.
Au final, je suis content d'avoir pris le temps de lire «Life».
J'écoute beaucoup les Rolling Stones ces temps-ci et j'ai découvert chez Keith Richards un être excessif, certes, excellent guitariste (ça on le savait déjà) mais intègre et au final très attachant malgré ses airs de Pirate des Caraïbes.
Derniers commentaires
02.11 | 01:39
Je crois que j'aurais pu partager quelques lignes de tes paragraphe.
Belle œuvre. Bravo!
28.06 | 13:29
28.06 | 02:04
Riche idée
Début costaud pour 2022.Moi,j’ai débuté plus léger.J’ai bien aimé La menthe et le cumin ,récit réconfortant de souvenirs sur la cuisine familiale de ses parents immigrants de Pascale Navarro
19.01 | 22:56
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lu-vu-entendu : livres, musiques, films et photos
Julesetleslivres.com / Merci à Gigi pour l'idée de mise en photos des livres. Pour les commentaires sur «À la recherche du temps perdu», voir sous la rubrique MARCEL PROUST.