La vie de Tony Roman est un véritable roman. Facile, me direz-vous! Mais il est vrai que c'est toute une vie que celle de celui qui nous a fait sautiller sur l'air de Do Wha Diddy à l'adolescence vers le début des années soixante.
Jean-Christophe Laurence a mis près de deux décennies à concocter cette biographie très réussie. Et ça parait. Il a multiplié les rencontres avec ceux qui l'ont connu et avec qui il a travaillé, à Montréal, à Los Angeles et à New York.
Tony Roman c'est un condensé de la scène culturelle des années soixante, le yéyé, les groupes qui chantaient des traductions de hits britanniques ou américains bâclées, à la va-vite. Il a ensuite enchaîné avec le disco, le punk. Tony Roman est un caméléon. Il s'adapte à l'air du temps, je dirais même qu'il s'y fond. Il a été tantôt producteur, chanteur, cinéaste. Il a amené au Québec la chanteuse Nanette Workman qui figure au panthéon de ses conquêtes amoureuses. Et il en a eu beaucoup. C'était un homme à femmes, c'est le moins qu'on puisse dire.
Tony Roman a fait beaucoup d'argent et il en a flambé beaucoup. Il a multiplié les plans foireux, les deals avortés par sa faute. Il fera la fête une quinzaine d'années à Los Angeles avant de revenir au Québec où il mourra d'un cancer foudroyant en 2007.
Ce n'est pas un grand personnage de l'histoire du Québec, mais sa vie méritait d'être racontée. Et c'est bien racontée. Pour quelqu'un de ma génération, c'est véritablement un album de souvenirs même si ma vie fut et est plus sage que celle de Tony d'Ambrosio, alias Tony Roman.
CLARENCEVILLE, novembre 2024
Marc Séguin, fasciné par l'œuvre d'Ozias Leduc, a sillonné les églises du Québec en compagnie de Laurier Lacroix, spécialiste de l'artiste de Mont-Saint-Hilaire.
Le regard qu'il pose sur les œuvres religieuses de Leduc est très pertinent. Il met l'accent sur la modernité des ces œuvres d'église et pose la question de l'influence possible du jeune Borduas qui était à l'époque son assistant.
Séguin est aussi fasciné par les paysages réalisés par Leduc dans les années 30-40. Mais c'est la Madeleine repentante, ce petit tableau qui représente Marie-Madeleine, peinte dans un clair obscur qui rappelle celui du Caravage, qui sera le point de départ de ce petit ouvrage. Il aura mis du temps pour avoir enfin accès à l'œuvre qui dort dans les voutes du Musée national des Beaux-Arts de Québec.
Séguin a peint une série de Madeleine dont celle qui figure en page couverture de l'ouvrage. Ce petit ouvrage est une réflexion sur l'art, la marchandisation de l'art, la religion et sa représentation par Leduc.
Ça sonne très juste. C'est sans prétention et ça se lit merveilleusement bien. Inutile de préciser que je suis très admiratif de l'œuvre picturale de Marc Séguin. Et il écrit aussi très bien.
CLARENCEVILLE, NOVEMBRE 2024
Avec La part de l'océan, Dominique Fortier continue son incursion dans l'univers des grands écrivains américains du XIXe siècle.
Je pensais que Jacques Brel avait touché le fond du baril de la dépendance amoureuse avec Ne me quitte pas. Pas vraiment.
"Il ne veut pas posséder cet homme, il veut lui appartenir. Il se contenterait d'être sa chose - sa chemise-, son encrier, le drap dont il se couvre quand il dort, la pipe à tête d'écume qu'il glisse entre ses lèvres - si cela lui permettait de passer les heures du jour et de la nuit à ses côtés. Il regrette de n'être pas plutôt né chien ou chat pour pouvoir s'attacher à ses pas et recevoir de lui de temps en temps une caresse. Cela est méprisable, il en est conscient, mais comment faire autrement."(p.157)
Herman Melville est tombé follement amoureux de Nathaniel Hawthorne - de quinze ans son ainé - lors d'une randonnée dans les monts Berkshire en Nouvelle Angleterre en 1850. C'est le point de départ de cette histoire complexe où s'entrelacent trois récits : celui de Melville en train d'écrire Moby Dick; le soliloque de Lizzie, la femme de Melville; la relation, amour, amitié littéraire, on ne sait pas, de l'autrice et de Simon, chacun en train d'écrire. S'ajoutent à cela de nombreuses digressions très savantes sur l'étymologie de certains mots.
Melville, qui a longtemps bourlingué sur les mers, aime les hommes, l'odeur des hommes et exècre tout ce qui est féminin. Les bavardages de sa femme, qu'il méprise et considère comme sa bonne, et de ses belles-sœurs l'agacent au plus au point. Son amour maladif pour Hawthorne est malheureusement à sens unique.
Dominique Fortier ne rend pas la tache facile à son lecteur. La structure narrative est volontairement complexe. Mais elle écrit merveilleusement bien. C'est un genre de récit poétique dans la continuité de Les villes de papier sur la poétesse Emily Dickinson Pour les amateurs de grande littérature, c'est un régal. Et je me suis régalé!
CLARENCEVILLE, octobre 2024.
J'ai toujours été fasciné pas cette période trouble de l'histoire de France, l'Occupation allemande de Paris de juin 1940 à août 1944. Mon intérêt pour l'œuvre de Patrick Modiano y est sans doute pour quelques chose.
L'hôtel Ritz fait partie des lieux iconiques et son bar a vu défiler son lot de célébrités durant l'entre-deux guerres et durant l'Occupation.
Ce grand roman de Philippe Collin retrace le parcours de Frank Meier, que l'on a surnommé le plus grand barman du monde. Il a gardé le fort durant cette période trouble. Le bar du Ritz a continué d'opérer et est devenu le lieu de prédilection des officiers allemands à Paris. Frank Meier a vu défiler des femmes sublimes, des collaborateurs de la Gestapo, dont le célèbre Henri Lafont. Il a entendu des secrets d'État. Parmi les habitués venus goûter aux cocktails de Meier, et aux champagnes millésimés du Ritz, Gabrielle Chanel, Sacha Guitry, Arletty, Jean Cocteau. On ne se prive de rien alors que les Parisiens crèvent de faim.
Comble de l'ironie, Frank Meier est juif. Il est toujours en porte-à-faux entre ses origines qu'il doit cacher et son obligation de montrer patte blanche devant l'occupant et Marie-Louise Ritz, la veuve Ritz, qui continue à mener l'entreprise d'une main de fer. Il devra déployer de véritables talents de diplomate pour protéger Blanche Auzello, l'envoûtante et énigmatique femme du directeur du Ritz, et Luciano son apprenti,
Ce n'est pas le premier roman qui traite de l'Occupation, cette période qui a été le théâtre de tous les mensonges, de toutes les trahisons et des grandes et petites lâchetés. Mais celui-ci est fascinant.
Une lecture passionnante. Et l'histoire de l'Occupation vue sous l'angle du barman du Ritz est très réussie.
CLARENCEVILLE, octobre 2024.
Simon est psychanalyste. Il a passé sa vie à écouter la parole des autres au risque de taire sa propre histoire. Un beau matin, un bol lui glisse entre les mains au petit déjeuner. Il sent que le moment est venu de passer à autre chose, de prendre l'air, de partir loin, ailleurs quitte à ne plus revenir ou à mieux revenir.
C'est aux îles Yaeyama que va le mener sa quête de liberté. Il y fait la rencontre d'un couple, monsieur et madame Itô, qui tient une auberge pour visiteurs éphémères. Elle se spécialise dans la collection de tissus rares, lui pratique l'art du kintsugi qui consiste à réparer les objets brisés, à la feuille d'or.
Ce séjour sera l'occasion pour Simon de tenter de mieux comprendre l'échec de sa relation complexe avec Louise et son ami Mathieu, un presque frère pour lui. En filigrane, se profile le fantôme de Lucie L., une patiente qui a abruptement mis fin à sa thérapie à la suite d'une remarque malhabile de Simon.
Voilà un beau roman d'introspection campé dans un décor à la fois simple et puissant. L'écriture tisse de très beaux liens entre les pratiques artisanales de Daisuke et d'Aiko et la psychanalyse.
J'aime beaucoup ce genre de lecture et je suis fasciné par le Japon et sa culture. C'était gagnant pour moi!
CLARENCEVILLE, octobre 2024.
Il y a quelques semaines, j'écoutais en entrevue à Ici Première deux écrivaines parlant de l'importance du Comte de Monte-Christo d'Alexandre Dumas dans leur univers littéraire. Elles l'avaient lu une première fois à un âge où je lisais les aventures de Bob Morane et de Bill Ballantyne d'Henri Vernes.
Et je me suis dit, jamais trop tard. Je me lance. Mille deux cent vingt cinq pages, ce n'est pas rien. J'ai acheté le format Folio classique en un seul volume. Erreur! C'est lourd et dur pour les mains. Si j'avais su! Mais pas de danger qu'il me tombe des mains.
Je ne vais pas vous raconter les aventures d'Edmond Dantès condamné injustement au bagne à perpétuité au château d'If au large de Marseille, de son évasion spectaculaire et de son plan de vengeance sous le nom du Comte de Monte-Christo.
C'est l'archétype du roman d'aventures. On peut le lire à quinze ans (des notions de l'époque bonapartiste de l'histoire de France peuvent être nécessaires), à l'âge adulte ou à celle de la retraite. C'est très bien raconté. Dumas savait tenir son lecteur en haleine et l'accompagnant dans cette tourbillonnante aventure.
J'en suis presque à la moitié. J'intercale une lecture plus courte, plus contemplative, plus contemporaine dont je ferai compte rendu avant de retrouver le Comte de Monte-Christo pour de nouvelles aventures.
À suivre...
Clarenceville, septembre-octobre 2024
Plusieurs écrivains qui ont travaillé avec Jean-Marc Roberts (1951-2013), l'éditeur au Seuil, chez Stock ou au Mercure de France ont voulu rendre hommage à cet éditeur d'exception.
Une vingtaine de textes, certains très courts comme celui de Modiano - Que sont mes amis devenus - d'autres beaucoup plus étoffés comme ceux d'Éric Orsenna ou de Éric Reinhardt ou encore ceux plus mélancoliques de Christine Angot ou d'Annie Ernaux, tous célèbrent à leur façon son amour du cinéma, de la musique, son sens de l'humour et de l'auto-dérision et son don de l'imitation des grands chanteurs français. Et surtout son amour des auteurs, qu'il savait accompagner comme personne d'autre.
C'est un beau florilège de textes qui célèbrent la vie de l'éditeur, de l'ami Jean-Marc Roberts. Qui n'aimerait pas recevoir un tel cadeau, malheureusement posthume.
Clarenceville, septembre 2024
J'ai tout d'abord été attiré par le drôle de titre. J'aime beaucoup l'expression faire une toilette de chat comme le matin où on va au gym et qu'on se débarbouille sommairement sachant qu'on va se doucher après l'entraînement ou encore quand on planifie qu'on va jardiner toute la journée.
J'avais lu Affaires étrangères de Jean-Marc Roberts au milieu des années 80 lorsque j'ai découvert Patrick Modiano. Les deux étaient d'ailleurs très amis.
Toilette de chat est une sorte d'autobiographie qui repose sur le constat suivant : " Il n'existe aucune loi pour les chats de couples séparés. Rien n'est prévu : pas de droit de visite ni d'hébergement. le chat, le plus souvent, reste avec les enfants, les jouets, le mobilier, les livres".
Le narrateur raconte les tribulations du chat Lala qui aura survécu à plusieurs déménagements, séparations et autres aléas avant de mourir à près de vingt ans, âge vénérable pour un matou.
Jean-Marc joue avec cet humour caustique typique du milieu de l'édition parisienne des années 80. Il était d'ailleurs éditeur au Seuil durant ces années.
C'est ce genre de roman, vite lu, vite oublié. Il en a écrit beaucoup d'autres et des meilleurs. Plus d'une quinzaine.
Jean-Marc Roberts est mort prématurément en 2013 des suites d'un cancer à 58 ans..
On lui a consacré un bel hommage fait d'une vingtaine de textes d'amis auteurs dont Patrick Modiano, Annie Ernaux, Philippe Claudel, Erik Orsenna et Christine Angot, pour ne nommer que ceux-là. Je vous ai lu cette nuit / Hommage à Jean-Marc Roberts est paru en 2023.
Je suis en train de le lire. À suivre…
Clarenceville, septembre 2024.
Après son incroyable saga autobiographique Mon combat en six tomes, KOK inaugurait un nouveau cycle des quatre saisons.
Dans Au printemps, il s'adresse à sa fille âgée de quelques mois relatant ses activités quotidiennes dans un petit village de Norvège où il vit avec ses deux autres enfants. Sa femme qui souffre de dépressions sévères qui la mettent dans un état proche de la catatonie doit faire des séjours fréquents en institution.
À 46 ans, Karl Ove Knausgaard nous livre encore une fois une confession sans tabou, sans concession sur la paternité, la maladie mentale, le suicide. Mais aussi sur l'écriture, le succès - il est maintenant un écrivain mondialement connu -, et la difficulté à concilier tous des aspects.
Au printemps est un journal qu'il dédie à sa fille qui, il le souhaite, pourra le lire un jour. C'est puissant, c'est dérangeant, c'est touchan
t et plein d'humanité tourmentée.
C'est à se demander jusqu'où ira KOK dans ses confessions impudiques?
Clarenceville, septembre 2024
Je n'avais jamais lu Alice Munro et, à vrai dire, je n'en avais jamais entendu parler avant l'obtention de son Prix Goncourt en 2013, un an avant Patrick Modiano. Elle est revenue dans l'actualité après sa mort en 2024 pour une sombre histoire de famille dénoncée par sa fille.
La danse avec les ombres est le premier recueil de nouvelles de cette grande écrivaine canadienne. Au total quinze nouvelles dont la plupart se déroulent en milieu rural et dans des petites villes du sud de l'Ontario dans les années 40. Parmi les thèmes les plus récurrents : les images marquantes de l'enfance et de l'adolescence, la famille, la vieillesse, la maladie, les petites et grandes trahisons.
Rien de bien réjouissant, me direz-vous. Pas du tout. C'est écrit avec beaucoup de finesse, avec un sens aigu de l'observation qui mélange à la fois légèreté et gravité. Une véritable leçon de maître pour qui voudrait s'initier à l'art de la nouvelle.
Îles de la Madeleine, juillet 2024
Ce récit se situe au cœur du conflit Iran-Irak au début des années 70. Romi, un citoyen irakien, arrêté pour activités politiques, immigre en France en 1972. Par une sorte d'amnésie partielle, il a oublié tout ce qui s'est passé avant son arrivée en France. Nous sommes en 2015 et Romi est en fin de vie.
Son fils Euphrate va tenter de palier sa mémoire défaillante en reconstituant son histoire.
C'est un récit très touchant malgré le fait que les allers-retours entre Paris, Bagdad et Falloujah rendent parfois la lecture difficile. Cette chronologie disloquée n'est pas toujours de tout repos pour le lecteur.
Îles de la Madeleine, juillet 2024
Jacob a pris trois cent soixante-neuf photomatons de lui-même entre 1970 et 1974. Mais qui est ce mystérieux Jacob qui apparaît chaque fois sous des apparences différentes donnant ainsi l'impression de multiplier les personnalités au même titre que les adresses? À partir de ce vieil album déniché aux puces, Boltanski va essayer de comprendre qui est ce mystérieux personnage.
Son enquête va le mener à Rome, à Djerba, en Israël, à Bâle et à Paris. Mais qui était-il vraiment. Un espion œuvrant sous le couvert d'un steward de EL AL depuis Tel-Aviv, un acteur, un collectionneur d'objets inusités?
Malgré un début un peu long et parfois alambiqué, la deuxième partie devient carrément passionnante lorsque ses recherches commencent à porter fruit Avec l'aide de sa famille, on découvre alors un singulier personnage qui s'adonnait à une aussi singulière tâche à Paris jusqu'à sa mort en 2003.
J'avais beaucoup aimé La cache, de Boltanski paru en 2015. Une saga familiale pas banale, la sienne, qui se déroule à Paris sous l'Occupation.
Îles de la Madeleine, juillet 2024
Murakami, c'est un autre de mes auteurs favoris dont j'ai lu à peu près tous les livres. Et il publie beaucoup.
Dans Première personne du singulier, Murakami nous propose une dizaine de petits textes comme des souvenirs. Des souvenirs vécus, d'autres volontairement modifiés, d'autres probablement complètement inventés. Allez savoir! Mais au fond quelle importance! Il s'amuse. Et on s'amuse.
Justement, j'appellerais ça des bluettes. Ça vous dit quelque chose? Il y est question de son amour de la musique, notamment des Beatles et de Charlie Parker, du baseball en plus d'évoquer des scènes amoureuses plutôt loufoques comme il n'en existe qu'au Japon.
C'est drôle, amusant, festif, estival. À déguster entre deux plats plus costauds. Et Murakami, je l'adore comme il adore les chats.
Îles de la Madeleine : juillet 2024
C’est avec la trilogie new-yorkaise que j’ai découvert Paul Auster il y a plusieurs années. En relisant Cité de verre, Revenants et La chambre dérobée, je comprends encore mieux pourquoi j'ai été fasciné par son œuvre que j'ai presque toute lue.
C'est un roman envoûtant fait de pistes brouillées. Un homme en épie un autre comme dans Rear Window d'Hitchcock. Mais qui épie et qui est épié? Véritable jeu de miroirs avec New-York comme personnage principal.
C'est une histoire qui ne se raconte pas tant elle est complexe et faite de labyrinthes. Mais déjà se pointe dans ce magistral roman un thème récurrent dans l'œuvre de Paul Auster, celui de la dépossession qu'il reprendra notamment dans Léviathan (1993), L'invention de la solitude (1988), Moon Palace (1990). Trois autres romans que je compte bien relire un jour.
Clarenceville / Îles de la Madeleine : juillet 2024
C'est une belle promenade nocturne à laquelle nous convie Laurent Gaudé dans ce petit récit d'à peine 90 pages.
Il y a aussi convié Victor Hugo, François Villon, Rimbaud qui ont tour à tour foulé les lieux mythiques de la capitale : la Place Saint-Michel, la Place des Vosges, Saint-Germain des Prés. Les époques se superposent dans ce récit, véritable ode à Paris. On se balade à la fois dans un Paris désert en 2020 - pandémie oblige - à la fin du Moyen-Âge et au XIXe siècle.
C'est un beau récit poétique pour ceux qui aiment Paris, et j'en suis. Et c'est aussi le cas de l'auteur qui y est né. Un très beau et bref moment de lecture.
CLARENCEVILLE, juin 2024
Il y beaucoup d'ouvrages parus récemment qui se réclament du concept de transfuge de classe. Édouard Louis et Didier Éribon en France, et plus récemment ici le récit de Jean-Philippe Pleau, Rue Duplessis, ma petite noirceur.
Je n'ai surtout pas l'intention de discuter ici à savoir si le livre de Caroline Dawson est le récit d'une transfuge de classe ou tout simplement un récit de l'immigration avec tout ce qu'il comporte d'aléas.
Là où je me terre retrace son parcours d'immigrante arrivée au Québec un 25 décembre au lendemain d'une tempête de neige. Le parcours de sa famille sera semé d'embûches: ses parents seront obligés de vivre dans un quartier défavorisé - que l'on appelle maintenant HOMA, à la new yorkaise - , ils devront cumuler des emplois de ménage dans des banques, chez des familles aisées pour rejoindre les deux bouts. Cela donne lieu, malgré tout, à des anecdotes amusantes.
En filigrane de son récit, on sent bien sûr la sociologue qu'elle est devenue. C'est un récit sur l'acculturation. Mais c'est aussi une récit sur la peur d'être ostracisée, d'être différente, en ayant l'impression d'être tiraillée entre sa culture d'origine et la culture d'accueil.
C'est un roman - c'est ainsi qu'est nommé ce récit - très touchant empreint de colère et de tendresse par une auteure partie trop tôt.
CLARENCEVILLE, juin 2024
Des hypothèses sur ce qu'auraient pu être la vie et la carrière de Françoise Dorléac, la sœur ainée de Catherine Deneuve, il y en a eu beaucoup.
Je suis tombé un peu par hasard sur ce petit livre écrit par un critique de cinéma qui reconstitue la courte vie de cette actrice promue à une brillante carrière. Qu'en aurait-il été de la rivalité avec sa sœur Catherine si sa voiture ne s'était pas encastrée dans un bloc de béton sur l'autoroute près de l'aéroport de Nice en juin 1967. Est-ce qu'il y aurait eu de la place pour les deux sœurs dans le paysage cinématographique français?
Elle avait vingt-cinq ans. Sa carrière était déjà amorcée. Elle avait tourné avec Polanski, Jacques Demy, Ken Russel, Philippe de Broca, menait une vie libre entre Londres et Paris. Elle voyageait beaucoup, multipliait les aventures sentimentales et était toujours insatisfaite: de son physique qu'elle trouvait moche, du peu de consistance de certains rôles qu'on lui proposait, de la maltraitance faite aux animaux, de presque tout.
Framboise, c'est le surnom que lui avait donné François Truffaut, qui figure au palmarès de ses conquêtes et avec qui elle tournera La peau douce en 1964.
Un petit livre qui se lit vite, vite, vite et que j'ai lu au frais un jour canicule. C'est bien documenté et on sent que l'auteur aime le cinéma, les actrices et Françoise Dorléac.
CLARENCEVILLE, juin 2024
Le 13 novembre, par une magnifique soirée d'automne, Paris allait connaître une nuit d'horreur. La planète entière a assisté à ce carnage perpétré à des terrasses de cafés du 11e arrondissement et au Bataclan.
Dans ce récit, Laurent Gaudé donne la parole aux victimes, aux parents et amis des victimes, aux secouristes, même aux employés chargés de faire le ménage des lieux après le carnage. L'auteur a résolument voulu se placer du côté des victimes et non des agresseurs qui ne seront jamais nommés. Ni les lieux d'ailleurs. C'est cette omission qui en fait justement un récit aussi poignant.
C'est un récit chorale, encore mieux un récit polyphonique - comme l'ont qualifié les critiques - très touchant, émouvant, sans jamais verser dans l'horreur, malgré, justement, l'horreur des événements.
Un très grand petit récit - il ne fait que 132 pages - que l'on porte encore longtemps en soi après avoir tourné la dernière page.
Merci à P. B. qui m'a fait connaître ce livre et avec qui je prends toujours plaisir à parler de nos lectures.
ILES DE LA MADELEINE, juin 2024
Sergueitch et Pachka, deux ennemis jurés, se retrouvent seuls dans un petit village coincé entre l'Ukraine et la Russie que l'on appelle la zone grise.
Il seront amenés à collaborer pour survivre aux conditions rudimentaires des longues journées d'hiver. Ils vont apprendre à s'apprivoiser à coups de vodka et autres alcools rustiques.
Sergueitch est un apiculteur rêveur. Il croit au pouvoir bénéfique des abeilles et dormir sur les ruches est une véritable cure qu'il s'offre à l'occasion. Le gouverneur du Donbass et d'autres notables sont venus y dormir moyennant une petite redevance.
Un beau jour de printemps, il décide de partir sur les routes de l'Ukraine avec ses ruches dans la remorque de sa vieille Tchetviorka. Commence alors un road movie parsemé de rencontres. L'amitié, peut-être l'amour, la guerre vont jalonner son parcours.
Un roman puissant, tendre, nostalgique, drôle parfois et qui n'est pas sans rappeler le film de Wim Wenders Au fil du temps sorti en 1976.
CLARENCEVILLE, mai 2024
Victor Zolotarev, écrivain au chômage, vit avec Micha, un pingouin qu'il a adopté lorsque le zoo de Kiev a dû déclarer faillite. Un beau jour, le rédacteur en chef d'un grand quotidien de Kiev lui propose d'écrire une rubrique nécrologique. Un travail payant qu'il peut réaliser chez-lui.
Cette rubrique, qu'il appelle les petites croix, est constituée de notices nécrologiques de personnes encore vivantes, qui, graduellement, vont disparaître. Il y a toute une embrouille politique dans cette affaire. Je vous le jure.
Micha le pingouin, malgré les bons soins de Victor, s'ennuie dans son appartement et rêve de l'Antarctique. La vie de Victor sera bouleversée par la rencontre de Sonia, le jeune fille d'un ami dissident disparu, qu'il se verra obligé d'adopter. On disparaît beaucoup dans ce roman de Kourkov.
Le pingouin est un magnifique roman qui flirte avec l'humour et l'absurde. Nous sommes dans le monde labyrinthique de l'ex-URSS que l'auteur se plaît à caricaturer.
C'est aussi bien sûr la découverte d'Andrei Kourkov, un célèbre écrivain ukrainien qu'on a découvert depuis 2022. C'est du moins mon cas.
Tous ses ouvrages, et il y en a beaucoup, sont publiés en français chez Liana Levi dans la très belle collection piccolo.
Parti sur ma lancée, je suis plongé dans Les abeilles grises paru en 2022.
CLARENCEVILLE, mai 2024
Tarek avait un destin tout tracé. Il serait médecin comme son père et reprendrait son cabinet après sa mort avant d'y avoir travaillé comme assistant. Il épousera Mia qui avait été sa première amoureuse et qu'il retrouvera quinze ans plus tard. Elle était disparue sans donner de nouvelles. Nous sommes au Caire au milieu des années 60.
La rencontre avec Ali, un jeune prostitué qui vit avec sa mère malade dans un quartier défavorisé en banlieue du Caire, va bouleverser sa vie et l'amener à quitter l'Égypte pour le Québec.
Je ne vous en dis pas plus au risque de gâcher le plaisir que vous aurez à lire ce magnifique premier roman d'Éric Chacour. Il reçoit beaucoup de prix et des critiques dithyrambiques pleinement justifiés. C'est dommage que le Goncourt lui ait échappé.
C'est à la fois un roman d'amour et un véritable thriller, jusqu'à la fin. Chacour sait brouiller les pistes. Jusqu'à la moitié du livre on se demande bien qui est le narrateur qui se cache derrière ce Tu. Tranquillement, les fils se démêlent et on en apprend un peu plus sur cette véritable tragédie grecque.
C'est très bien écrit et il maîtrise magistralement l'art du récit. Je pense qu'on rêverait tous d'écrire un tel premier roman.
Avec une pareille lancée, il ne serait pas étonnant qu'il continue à écrire. Et on ne s'en plaindra pas.
CLARENCEVILLE, MAI 2024
Je vais mettre des gants blancs jusqu'aux coudes pour parler ce cet ouvrage dont tout le monde parle en ce moment. Je ne veux surtout pas faire la critique de Rue Duplessis - d'autant plus que je ne me prends pas pour un critique - mais plutôt un commentaire sur ce que j'ai ressenti à sa lecture.
Commençons par une définition de transfuge, puisque c'est bien de cela dont il est question dans le livre de Jean-Philippe Pleau. Pour le Larousse : soldat qui passe à l'ennemi. Personne qui abandonne une cause pour une autre. Le Petit Robert est plus frontal : personne qui trahit sa cause, sa mission.
D'entrée de jeu, je suis un peu mal à l'aise avec le concept de transfuge de classe que je juge un peu brutal. On y voit de la trahison, de la honte. La notion de transfuge de classe ne serait-t-elle pas avant tout une construction sociologique? D'ailleurs, l'auteur est lui-même sociologue ainsi que Pierre Bourdieu, Didier Éribon et Édouard Louis qu'il cite abondamment. Sans nier que l'on se construit à partir de son milieu social et que tous n'ont pas la même chance au départ, il n'en demeure pas moins que beaucoup de gens, de ma génération notamment, vivent dans un milieu économiquement, culturellement meilleur que celui de leurs parents. C'est ce que l'on pourrait appeler aussi l'ascension sociale.
Ceci étant dit, j'ai trouvé le récit de Jean-Philippe Pleau très touchant, très courageux. Il témoigne d'ailleurs des réactions de certains membres de sa famille qui ont vécu son témoignage comme une trahison. J'ai moi-même ressenti un malaise à la lecture de certains passages sur ses parents.
C'est un livre qui me laisse perplexe, qui suscite beaucoup de questions sur l'écriture, sur l'autofiction, la famille, les classes sociales. C'est déjà pas mal pour un roman (mettons).
CLARENCEVILLE MAI 2024.
Dans une cité où vivent des gens privés de leur ombre, un nouveau venu est chargé de lire des rêves dans des crânes de licornes. En parallèle, le récit d'un Tokyo futuriste où un jeune homme est entrainé par un drôle de scientifique dans une aventure qui le mènera dans les sous sols de la ville peuplés de créatures monstrueuses qu'il devra affronter.
Il y est question de vies parallèles, de mémoires alternatives. Bref, un univers qui, a priori, ne m'intéresse absolument pas. Mais, raconté par Murakami, ça prend une coloration fascinante même si, je dois l'avouer, ce n'est pas le meilleur Murakami. C'était son troisième roman, avant Kafka sur le rivage, Chroniques de l'oiseau à ressort et la trilogie IQ84.
J'ai un peu trainassé sur ce roman de 600 pages tiraillé entre l'envie de le laisser tomber et l'envie de connaître la fin, qui m'a laissé sur ma faim.
Si vous avez envie de vous initier à l'œuvre magistrale de Murakami ce n'est pas le livre que je vous recommanderais. Choisissez plutôt Kafka sur le rivage ou la trilogie IQ84.
CLARENCEVILLE MAI 2024.
Le récit commence par un banal accident quotidien. Sy Baumgartner, 70 ans, professeur de philosophie à Princeton, spécialiste de Kierkegaard, se brûle la main avec une casserole qu'il avait oubliée sur la cuisinière et un peu plus tard déboule l'escalier du sous-sol où il va très rarement.
Sy Baumgartner vit seul depuis que sa femme Anna Blume (1) est morte noyée à Cape Cod emportée par une vague, il y a dix ans. Ils devaient partir en année sabbatique à Paris quelques jours plus tard et avaient décidé de passer le week-end sur le bord de la mer chez des amis. C'était un couple d'intellectuels qui n'avait pas réussi à avoir d'enfants.
Commence alors une longue période de deuil pour Baumgartner. Une longue dérive vers le passé, où se succèdent les souvenirs de ses origines modestes à Newark, de son père immigré polonais, de sa rencontre avec Anna au tout début de la vingtaine et de sa carrière universitaire.
Baumgartner se sent littéralement amputé de celle qu'il considérait comme sa véritable moitié. Il ira finalement vers la lumière à travers une rencontre littéraire : une jeune étudiante au doctorat intéressée à faire une recherche doctorale sur l'œuvre poétique d'Anna Blume lui permettra de faire revivre Anna à travers l'étude de son travail poétique.
C'est un très beau roman à la fois sombre et lumineux. Du grand Paul Auster, peut-être le dernier. C'est lui-même qui l'a annoncé puisqu'il souffre d'un cancer depuis quelque temps. Ce serait bien dommage pour la littérature.
(1). Paul Auster avait publié en 1989 le roman Le voyage d'Anna Blume.
CLARENCEVILLE AVRIL 2024.
L'hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris, construit au XVe siècle, est un des plus grands ensemble hospitalier de France. C'est aussi un lieu chargé d'histoire qui a accueilli pendant longtemps les prostituées, les meurtrières et toutes les femmes qui ne répondaient pas aux normes de l'époque : celles atteintes de maladies mentales, les voyantes, etc. Bref, toutes celles que l'on appelait les folles.
C'est dans ce contexte que le neurologue français Jean-Martin Charcot (1825-1893) a mené, entre autres, ses expériences sur la maladie mentale. Dans ce premier roman très réussi, on suit le parcours d'Évelyne Cléry, jeune fille de la bourgeoisie parisienne, internée de force à la Salpêtrière parce qu'elle possède le don de communiquer avec les esprits défunts.
Les "folles" de la Salpêtrière, comme on les appelle, sont l'objet de beaucoup de curiosité de la part du public. Chaque vendredi le grand maître Charcot donne une leçon d'hypnose mettant en "vedette" une patiente choisie pour ses effets spectaculaires : convulsions, etc.
Pire encore, chaque année à la Mi-Carême on organise un bal dans le grand auditorium de l'hôpital auquel est convoqué le Tout-Paris. Les patientes peaufinent leurs costumes pendant des semaines en vue de l'évènement. C'est un évènement très couru. L'aristocratie parisienne adore aller au bal des folles.
À travers l'histoire de quelques patientes, (Louise, Thérèse, Geneviève) Victoria Mas dresse un portrait réaliste de l'enfermement au XIXe siècle. Très intéressant et beaucoup plus facile d'accès que les ouvrages assez hermétiques de Michel Foucault "Histoire de la folie à l'âge classique" et "Surveiller et punir".
Une chose en attire une autre. Élise Turcotte faisait référence à cet ouvrage dans Autoportrait d'une autre et comme G. l'avait lu et qu'il était encore dans la bibliothèque, j'ai plongé dans ce roman avec grand plaisir.
CLARENCEVILLE, mars 2024.
Denise Brosseau, Denise Jodorowsky, Denise Garcia Ponce, autant d'appellations pour cette Québécoise née à Sorel en 1936. Une actrice, une muse qui a frayé dans le milieu de la contre culture des années 70. Elle a connu Dali, Miles Davis, la bohème de Saint-Germain des Prés de la fin des années 50. Un drôle de hasard l'avait d'abord amenée à Paris où elle fait la rencontre d'Alejandro Jodorowsky qu'elle épousera pour le meilleur et pour le pire. Elle s'installera par la suite au Mexique où elle épousera le peintre Fernando Garcia Ponce avec qui elle aura un fils. Elle était belle et énigmatique. Et elle avait laissé peu de choses derrière elle, sauf quelques poèmes.
Élise Turcotte, sa nièce qui l'a peu connue, est partie à la recherche de cette tante qui a marqué l'histoire de la famille. Elle fera la rencontre de son cousin Esteban Brosseau-Garcia qui enseigne l'histoire de l'art à l'université de Mexico. Ce sera le début d'une longue quête.
C'est un très beau livre. Tout au long du récit, l'auteure fait part de ses doutes, s'interroge sur la légitimité d'une telle démarche. Parfois, elle se substitue à sa tante. Il y est question de mal de vivre, de folie, de psychanalyse. Des références à Monica Vitti la femme au manteau vert du Désert rouge d'Antonioni, à la poésie de Gaston Miron - qui occupa une place importante dans sa vie avec Gérald Godin et Pauline Julien - et d'autres artistes mexicains. Il faut préciser que Denise Brosseau, de retour au pays, s'est suicidée dans le métro de Montréal en avril 1986. Elle avait 49 ans.
C'est l'histoire d'une errance entre Paris, Mexico et Montréal, où elle revenait quand ça n'allait plus. Une vie marquée par la folie qui guette, jusqu'à l'ultime libération.
CLARENCEVILLE, mars 2024
Murakami a eu cette drôle de bonne idée de faire l'inventaire de sa collection de T-Shirts et de nous en présenter quelques uns qui ont une signification particulière pour lui.
Il les a regroupés par catégories : animaux, sports, bières, disques, livres. Ça donne un petit livre très drôle, très joliment illustré. Un livre tout à fait inutile, comme il le dit lui-même.
Mais quand on est un fan de Murakami - comme c'est mon cas - on ne peut pas le laisser sur les tablettes du libraire.
CLARENCEVILLE, mars 2024
Le 24 novembre 1974, il est allé dans sa chambre - il était retourné depuis peu chez ses parents - pour ne plus jamais se réveiller. Il avait 26 ans. Suicide ou overdose de médicaments. On n'a jamais su.
Il était talentueux, beau, sportif, apprécié de ses collègues. Mais, il trainait un mal de vivre qui l'aura mené de dépression en dépression.
Il est passé comme un météore, dans la vie et dans le monde de la musique folk britannique des années 70. Il a laissé trois magnifiques albums " Five leafs left" (1969), "Bryter Layter" (1970) et "Pink Moon" (1972). Ces trois disques, c'est l'histoire de sa vie.
Extrêmement réservé, maladivement timide il avait beaucoup de difficulté à se produire en spectacle. Il va tranquillement se couper du monde de la musique, ce qui explique son peu de notoriété avant sa mort. Par la suite, il est devenu une sorte d'icône du romantisme noir. Ses disques ont connu un succès posthume au cours des années suivant sa mort.
La biographie de Patrick Humpries dresse un portrait de ce grand jeune homme qui avait de la difficulté à négocier avec le succès, le public, finalement avec la vie. En toile de fond la scène musicale londonnienne de la fin des années 60 et du début des années 70. L'auteur a interrogé beaucoup d'amis de Cambridge, l'équipe de Island Records ainsi que sa famille pour tenter de percer le mystère Nick Drake.
J'en ai bien sûr profité pour écouter et récouter son testament musical : trois albums empreints d'une tristesse, dans les textes et dans la voix, qui touchent au sublime.
N'eut été de sa maladie, il aurait sûrement connu, de son vivant, un succès aussi grand que celui de Cat Stevens, aussi chez Island Records à cette même époque.
CLARENCEVILLE, mars 2024.
En effet, la flamboyante Laura Antonelli, celle que Visconti considérait comme la plus belle femme au monde, la compagne de Jean-Paul Belmondo pendant plusieurs années, est morte recluse dans un petit appartement en banlieue de de Rome le 22 juin 2015.
Mais ce titre énigmatique vient de l'actrice elle-même qui répondait aux journalistes qui souhaitaient l'interviewer :
" Laura Antonelli n'existe plus."
Philippe Brunel, journaliste-pigiste est mandaté par un réalisateur pour tenter de prendre contact avec Laura Antonelli qui se terre dans un petit appartement en banlieue de Rome. Elle a renoncé à la vie publique depuis qu'elle a été faussement accusée de trafic de drogue dans les années 90.
Elle vit recluse et s'est refugiée dans la religion. Elle s'est débarrassé de tous ses biens, meubles, bijoux, souvenirs de sa vie de star. Elle fréquente de mauvais garçons à l'instar de Paolo Pasolini assassiné sur une plage d'Ostia, en banlieue de Rome, pas très loin d'où habite Laura Antonelli.
Le narrateur se promène dans une Rome déserte en plein mois d'août. C'est une sorte de journal où se mêlent sa recherche de l'actrice, des réflexions sur Pasolini, Visconti, le cinéma italien des années 70 et bien sûr la triste vie de l'héroine de L'Innocent de Visconti.
CLARENCEVILLE 6 mars 2024.
C'est une brique de près de 2000 pages qu'a publiée Gallimard (son éditeur de toujours) dans la collection Quarto en 2022. Toute l'oeuvre romanesque de Réjean Ducharme.
Il y a tout d'abord une excellente biographie très bien documentée, photos à l'appui sur le mystérieux écrivain de Saint-Félix de Valois. On en apprend beaucoup sur la production artistique de Ducharme qui ne s'est pas limitée à l'écriture de romans.
Et puis, j'ai entamé L'avalée des avalés, ce roman écrit en 1966 et le premier à être publié chez Gallimard. Je me suis rendu de peine et de misère à la moitié. Et j'ai décroché, déçu. C'est un délire total, un roman à peu près illisible, pour moi en tout cas. Jamais lu quelque chose d'aussi déroutant et, j'oserais dire, d'aussi inintéressant. Sacrilège! Je sais...
Alors je me suis rabattu sur L'hiver de force que j'avais lu dans les années 70. Et là j'ai retrouvé le Ducharme que j'avais apprécié. Le narrateur et sa blonde Nicole vivent de rien dans leur appartement déglingué en face du parc Jeanne-Mance.. Voici qui donne le ton : " Nous disons du mal des bons livres, lus pas lus, des bons films vus pas vus, des bonnes idées, des bons petits travailleurs et de leurs beaux grands sauveurs (ils les sauvent en mettant tout le monde , excepté eux et leurs petits amis, aux travaux forcés) de tous les hippies, artistes, journalistes, taoistes, nudistes, de tous ceux qui nous aiment..."
C'était l'époque de l'Osti de Show. De Charlebois écrivant avec Claude Péloquin, Marcel Sabourin et même Gilles Vigneault des textes comme Lindberg, La marche du président, California sur cet album mythique paru en 1968. De "Vous n'êtes pas écoeurés de mourir bande de caves" , la murale de Jordi Bonnet et Claude Péloquin au Grand Théâtre de Québec, un peu plus tard. Époque un peu flyée.
L'hiver de force, ce n'est pas une écriture très sophistiquée, c'est écrit dans un joual parfois un peu grinçant mais c'est tout à fait dans l'esprit du Québec du milieu des années 60. On s'éclate et on en fume du bon. On a qu'à écouter attentivement les textes de l'album de Robert Charlebois et Louise Forestier pour s'en convaincre.
Est-ce que ça a bien vieilli? Difficile à dire. Chose sure, ça m'a ramené dans ma vingtaine et j'avais trouvé hilarant cette idée de se servir des 33 tours pour faire des paillassons à l'entrée de l'appartement. Tous les 33 tours? Non les seuls épargnés étaient les albums des Beatles. Notamment Sgt Peper et le White Album que Nicole et son chum écoutent en boucle.
Plonger ou replonger dans l'univers de Ducharme près de 60 ans plus tard peut réserver bien des surprises. Bonnes ou mauvaises. À défaut de relire toute son oeuvre littéraire, on peut à tout le moins revoir Les bons débarras de Francis Mankiewicz, d'après un scénario de Ducharme, paru en 1980. Selon moi, un des films cultes de la cinématographie québécoise. Et très représentatif de l'univers ducharmien.
CLARENCEVILLE, février 2024. LOR
En allant à la Grande Bibliothèque récupérer un livre que j'avais réservé, je suis tombé par hasard sur ce petit livre en vedette sur le présentoir des nouveautés.
Intrigué par le titre, par cette photo de la Tour Eiffel à l'envers, La disparition de Paris s'est faufilé dans la pile d'attente sur mon bureau.
De quoi ça parle tout ça. Comme son titre l'indique, de la disparition de Paris sous la gouverne de la maire Anne Hidalgo. Didier Rykner est fondateur et directeur de la revue La tribune de l'Art qui se consacre à la défense du patrimoine.
Paris se dégrade, selon-lui. Publicité envahissante, coupes d'arbres injustifiées, aménagement inesthétique, dégradation du mobilier urbain qui faisait le charme et la spécificité de Paris (les célèbres banc Davioud, les fontaines Wallace, etc.). Photos à l'appui. Il craint déjà le pire avec les JO d'été 2024. Bref, Anne Hidalgo en prend plein la gueule. Il lui impute tous les maux, même si, on s'en doute, gérér une ville comme Paris ne doit pas être une sinécure.
Si on aime Paris, on trouve la situation un peu triste. Mais il faut dire que son but est surtout de mettre l'accent sur les mauvais coups de l'administration Hidalgo...et il y en a beaucoup, selon lui. Bref ce n'est pas du tout le Paris aseptisé qu'on nous présente dans la série Émily à Paris sur Netflix.
Toutefois, le nouvel aménagement de la Place de la Bastille est, selon moi, assez réussi. Mais avec les Parisiens, il est difficile de faire l'unanimité.
Quand on se compare, on se console. On critique beaucoup Valérie Plante pour sa gestion cahotique des travaux et l'omniprésence des cônes orange à Montréal. Toutefois, les grands travaux comme l'aménagement du Quartier des spectacles sont de belles réussites.
Mais Montréal n'est pas Paris. Bref, petit réquisitoire intéressant. À vérifier de visou lors d'un prochain séjour.
CLARENCEVILLE, février 2024.
Noir c'est noir
A priori rien de réjouissant. La jaquette du livre, noire comme un générique de film de Woody Allen. Un roman qui commence et finit dans un cimetière juif délabré au New-Jersey.
Au début, les funérailles d'un homme, 71 ans, décédé à la suite d'une septième intervention chirurgicale cardiaque. Un homme qui a fait une brillante carrière dans une grande agence publicitaite new-yorkaise. Trois fois marié, trois enfants dont deux garçons issus d'un premier mariage qui ne lui adressent plus la parole depuis le divorce.
Le récit en flash back d'un homme qui aimait trop et qui amait mal les femmes. Le constat de ses trahisons et de ses lâchetés, sa santé fragile, la relation avec son frère ainé qu'il envie, tout cela lui revient en mémoire comme un bilan de sa vie.
La fin du récit se termine par une très émouvante rencontre avec un fossoyeur noir, la veille de sa chirurgie cardiaque, dans ce même cimetiére où reposent ses parents et où il sera lui-même inhumé quelques jours plus tard, scène qui ouvre ce magnifique roman.
J'avais lu Un Homme lors de sa parution en 2006. J'avais adoré, littéralement. Le relire presque vingt ans plus tard à l'âge qu'a le personnage du roman est une autre affaire. Mais ça demeure un grand roman comme tous ceux de Philipp Roth que j'ai lus. Et pas du tout déprimant comme mon texte pourrait le laisser penser.
À lire aussi : La tache (2000), Némésis (2010), Indignation (2008), Exit le fantôme (2007), Le rabaissement (2009). Et beaucoup d'autres que je n'ai pas lus.
CLARENCEVILLE, février 2024.
Alexis ou le Traité du vain combat a été écrit alors que Marguerite Yourcenar avait tout juste vingt-cinq ans.
C'est une longue lettre qu'Alexis adresse à sa femme, Monique, pour lui faire part de son long combat contre sa vraie nature. Il s'excuse de n'avoir pu l'aimer comme elle l'aurait mérité.
On le devine, il s'agit de l'homosexualité d'Alexis bien que le mot ne soit jamais nommé.
Le coup de grâce se situe quelque part dans les Balkans dans le sillage de la Première Guerre mondiale. Publié en 1938, c'est un récit de guerre, mais surtout d'un chassé-croisé amoureux entre Éric, Sophie et Conrad. Amours déçues, trahisons mèneront à un dénouement brutal.
Dans ces deux courts premiers romans, on peut déjà deviner l'immense talent de Marguerite Yourcenar. Avant, les États-Unis, avant Mémoires d'Hadrien (1951) et L'Oeuvre au noir (1968).
CLARENCEVILLE, février 2024.
En 1961, Pier Paolo Pasolini - aussi journaliste - effectue un voyage en Inde avec ses amis Alberto Moravia et sa femme Elsa Morante pour le compte d'un magazine italien.
Je suis tombé par hasard sur ce petit livre à la librairie Bonheur d'Occasion à la Grande Bibliothèque où on fait toujours des trouvailles intéressantes. De plus, mon frère étant en voyage en Inde, je trouvais la coincidence fortuite.
L'odeur de l'Inde est un journal de voyage. " Ce sont les premières heures de ma présence en Inde, et je ne sais pas dominer la bête assoiffée, en moi emprisonnée comme en cage. Je persuade Moravia de faire du moins quelques pas près de l'hôtel et de respirer quelques bouffées de cet air, d'une première nuit en Inde."
Le portrait que dresse Pasolini de l'Inde est rempli à la fois d'admiration et de compassion. À travers ses errances nocturnes, il découvre l'extrême pauvreté, qui cotoie une spiritualité qu'il ne parvient pas toujours à décrypter. Il n'hésite pas à se mêler aux plus pauvres, aux plus misérables dont le sourire le fascine.
Il critique sévèrement les effets néfastes du colonialisme anglais et le système des castes, élément paralysateur de la société indienne.
Son reportage date de 1961. Les choses ont sûrement un peu changé. Bien sûr le Bangalore, dans le sud de l'Inde, est devenu un centre de haute technologie qu'on a surnommé la Silicon Valley indienne. Toutefois, malgré sa soi-disant abolition, le système des castes existe toujours, mais de façon plus déguisée. Les sociétés, notamment sur le fond, évoluent très lentement.
C'est un beau texte qui fixe peut-être, malgré tout, une image intemporelle de l'Inde.
CLARENCEVILLE, février 2024.
J'ai découvert Jean-Philippe Toussaint en 1985 avec La salle de bain, un petit roman étrange. Un homme décide un beau jour de s'enfermer dans sa salle de bain pour ne plus en sortir.
Depuis, il a régulièrement publié, toujours aux Éditions de Minuit, et je l'ai toujours suivi. Une bonne vingtaine de romans. Je suis toujours fidèle aux auteurs que j'aime.
L'Échiquier a été écrit durant la pandémie, moment propice à la réflexion et à l'introspection. C'est un genre de journal du confinement. Les deux pôles du récit sont l'écriture et les échecs. Toussaint a été pendant plusieurs années un passionné d'échecs et a même participé à des tournois importants. Il a tout laissé tomber pour se consacrer à l'écriture. Cette décision n'est pas sans rapport avec sa relation au père.
Parallèlement à l'écriture de ce livre - L'Échiquier - le matin, il traduit, l'après-midi. Le Joueur d'échecs de Stefan Sweig de l'allemand au français. Ainsi les échecs traversent tout l'ouvrage.
L'Échiquier est un livre sur un livre en train de s'écrire. C'est une magistrale leçon sur le métier d'écrivain. Et c'est toujours bien écrit avec plein de petits détails du quotidien avec sa femme, Madeleine, durant la pandémie. Et ce n'est jamais lourd.
Tousssaint a écrit en 2006, un petit livre de 17 pages intitulé La mélancolie de Zidane sur le fameux coup de boule au stade de Berlin le 9 juillet 2006. Une belle curiosité.
CLARENCEVILLE, février 2024.
Pas banal de lire "À la recherche du temps perdu" et de constater que le baron Charlus, la duchesse de Guermantes et d'autres encore sont en fait des membres de sa famille.
C'est l'essence de l'essai de Laure Murat, professeur de littérature à UCLA. Lesbienne et féministe - elle se définit comme tel - elle vit à Los-Angeles depuis plusieurs années. Elle anime d'ailleurs un séminaire sur la Recherche.
Élevée dans les codes de la vieille aristocratie française, elle rompt avec sa mère qui n'accepte pas son homosexualité. C'est un genre d'autobiographie, d'essai sur l'aristocratie déclinante avec toujours l'oeuvre de Proust en effet de miroir.
"... Car le monde révolu où j'ai grandi était encore celui de Proust, qui avait connu mes arrière grands-parents, dont les noms figurent dans son roman"
C'est un essai qui ressemble à un roman, qui ressemble à de l'auto-fiction. C'est très très bien écrit, une écriture parfois exigente. Et ça connaît un grand succès de librairie - Prix Médicis essai 2023 - pour un ouvrage, ma foi, assez complexe.
À preuve que Proust fascine toujours et n'a pas fini de fasciner.
CLARENCEVILLE. Janvier 2024
Erza et Maud Kerr ont fait fortune dans la publicité. Ils ont entre autre orchestré la campagne électorale de François Mitterand qui l'a porté au pouvoir en 1981.
C'est un couple flamboyant qui vit à cent à l'heure entre leur magnifique villa Les Bulles sur la Côte d'Azur et leur appartement avenue George-Mandel dans le 16e arrondissement de Paris.
Au retour des vacances, le 1er septembre, leur fille unique Éléonore reçoit un appel du commisariat. Ses parents ont été retrouvés morts dans une suite de l'hôtel Lutétia. Suicide planifié depuis quelques mois dans le plus grand des secrets. Une lettre adressée à leur fille explique leur geste.
Éléonore devra faire le deuil de ses parents excentriques qui l'avaient toujours tenu à l'écart. Elle mettra du temps à leur pardonner ce geste qu'elle considère égocentrique. Ce roman est un prétexte à une réflexion sur le droit à mourir dans la dignité.
Ça se lit d'un trait. C'est très habilement mené, à tel point qu'on a vraiment l'impression d'un récit autobiographique. Ce qui n'est pas le cas.
CLARENCEVILLE, janvier 2023
Ce n'est pas le premier et ce ne saera sûrement pas le dernier livre sur les chats. Les chats sont les rois de l'internet. Ce serait parait-il les sites qui leur sont consacré qui sont les plus populaires.
Ce petit livre de Jérôme Attal s'ajoute à la longue liste. C'est amusant, bien écrit et ça raconte toutes sortes d'anecdotes, beaucoup inédites, sur les minous. Winston Churchill, Ernest Hemingway, Balthus, John Lennon et bien d'autres adoraient les félins domestiques.
Quelques heures d'une douce lecture, le chat ronronnant sur les genoux. Et ça nous conforte dans l'idée qu'il est bon d'avoir un chat à la maison et que ce sont des petites bêtes pas bêtes du tout.
Merci ÉT pour cette pensée.
CLARENCEVILLE, janvier 2023
Comment parler de cet extraordinaire roman. Je l'avais lu à sa sortie en 1984. Ça n'a pas vielli d'une ride.
C'est une grande histoire d'amour et de jalousie entre Thoma et Tereza. Malgré son amour pour Tereza, Thoma ne peut s'empêcher de multiplier les aventures avec d'autres femmes. C'est un libertin impénitent et Tereza en souffre. Elle souffre notamment de la présence de Sabina sa maîtresse qui occupe une place importante dans sa vie. En parallèle, on suit le parcours de Franz et Sabina. Sabina est une artiste, elle est séduisante et libre.
Histoire banale me direz-vous. Mais attention! On est chez Kundera. Cette histoire est prétexte à une brillante réflexion sur l'amour, la sexualite, la jalousie et l'exclusivité. Et tout ça sur une toile de fond politique : l'invasion communiste soviétique en Tchécoslovaquie en 1968 qui mettra fin au Printemps de Prague.
Le destin de Thoma de Tereza et de Karenine sera bouleversé par ces événements politiques. Il ne faut pas oublier Karenine, la chienne de Tereza, qui la suivra pendant plus de dix ans et qui constitue en soi un des personnages du roman donnant ainsi lieu aux plus belles pages que j'ai lues sur l'amour des animaux.
CLARENCEVILLE, janvier 2024.
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J'adore ce genre de petit livre que l'on déniche sans vraiment le chercher. J'avais découvert, il y a quelques années dans une librairie parisienne cet autre ouvrage d'Ariane Chemin "Mariage en douce Gary & Seberg" sur le mariage secret de Romain Gary et Jean Seberg en Corse le 16 octobre 1963. J'avais beaucoup aimé.
Même coup de foudre pour ce petit livre (130 pages) qui retrace le parcours de Milan Kundera et de sa femme Vera depuis leur Tchécoslovaquie natale jusqu'à Paris au milieu des années 70. Ce que l'on savait moins, c'est que sa femme et lui étaient très étroitement surveillés pas les services secrets communistes tchèques. À tel point qu'il s'est fait discret tout au long de sa vie évitant les journalistes, et surtout la télé, à l'exception d'une apparition à Apostrophes en 1980.
Aidée par des amis de Kundera, par sa femme Vera, Ariane Chemin mèene une véritable enquête sur la vie et l'oeuvre de Kundera. Du coup - comme disent les Français - ça donne envie de lire et relire Kundera. Je relis donc "L'insoutenable légèreté de l'être" (1984) pour commencer. J'avais adoré à l'époque. Hâte de voir si le temps y aura changé quelquechose.
CLARENCEVILLE 31 décembre 2023
Drôle d'affaire. En lisant Mrs Dalloway, le roman le plus célèbre de Virginia Woolf, j'avais en tête ces deux magnifiques chansons : Madame rêve interprétée par Alain Bashung et A Day in the Life des Beatles.
J'avoue. Je n'avais jamais lu Virginia Woolf. Je jugeais à tort ou à raison qu'il s'agissait d'une littérature pour femmes et l'aura neurasthénique de l'auteure ne m'avait jamais encouragé à entreprendre la lecture de Mrs Dalloway. J'étais tout de même curieux de constater par moi-même pourquoi ce court roman est considéré comme un chef-d'oeuvre de la littérature anglaise.
Clarissa Dalloway prépare une réception et sort acheter des fleurs. Cette ballade dans le quartier de Westminster est l'occasion pour Clarissa d'une réflexion sur sa vie de femme du ministre Richard Dalloway. C'est un récit très touffu, d'une lecture exigeante où s'entremêlent les souvenirs d'un amour perdu -Peter Walsh-, de Septimus le jeune soldat victime d'un choc post-traumatique qui mourra défenestré et d'autres personnages.
Toute l'action se déroule en une journée, de la sortie pour l'achat des fleurs jusqu'à la fin de la réception. Cette soirée mondaine dans la bourgeoisie londonienne de l'entre-deux guerres n'est pas sans rappeler les dîners chez les Verdurin dans À la recherche du temps perdu.
C'est une journée dans la vie d'une femme. A Day in the Life of Clarissa Dalloway. Bref, je suis content d'avoir satisfait ma curiosité.
CLARENCEVILLE, 29 décembre 2023
Ça commence pas mal raide " J'habite à Saint-Lambert et ça me fait profondément chier. Saint-Lambert est une banlieue prétentieuse et hypocrite. Une vieille dame qui courtise le fleuve avec le petit doigt en l'air, tout en se faisant enculer par le boulevard Taschereau, ce chef-d'oeuvre de laideur pochemoderne." et ça donne le ton. Pas mal irrévérencieux mais brillant.
Le prénommé Steeve Simard (avec deux e, précise-t-il, initiales SS, maudit ses parents pour ce prénom anglophile et ces initiales nazies) fait le bilan de son année de secondaire V à la Polyvalante Gaston-Miron sur la Rive-Sud de Montréal.
C'est une sorte de journal - presqu'autobiographique - en une trentaine de courts chapitres sur la vie d'une Polyvalente de banlieue au milieu des années 80. Steeve Simard est un élève atypique : c'est un grand lecteur,- il lit Gaston Miron, Michel Houellebecq- il est critique de la société, et il écrit très bien. C'est tout Biz quoi! Cette dernière année de secondaire sera marquée par l'éclosion du désir amoureux mais surtout par la mort tragique et inattendue de Mathieu Saint-Amour, le quart arrière des Spartiates, la vedette de l'équipe de football de l'école.
J'ai adoré ce petit récit. C'est brilamment écrit, c'est cultivé, truffé de références à l'histoire, passionné, drôle et grave à la fois. Tous les étudiants de la fin du secondaire devraient lire La chute de Sparte, mais pas seulement...
CLARENCEVILLE 17 décembre 2023
On connaît Claudine Bourbonnais comme chef d'antenne à la télé de Radio-Canada les fins de semaine. Discrète et élegante.
Elle avait publié en 2014 Métis Beach qui avait connu un beau succès. Le destin c'est les autres se décline en trois "actes" : les études sur le Moyen-Orient en Angleterre à la fin des années 80, le séjour au Caire, et enfin le retour à Montréal et les débuts à Radio-Canada.
L'auteure raconte avec beaucoup de finesse ses deux années à Durham dans cette vieille université anglaise, les copains, l'insousiance de la jeune vingtaine. Le fil conducteur de ce court récit est cette troublante découverte au début des années 2000 : Marwan, un des copains de la bande, personnage intrigant, n'est pas tout à fait celui que l'on croyait. Je ne veux pas jouer les divulgâcheurs. Je n'en dirai pas plus.
J'ai beaucoup aimé ce moment de lecture. C'est bien écrit. Et elle rend, par la même occasion, un bel hommage à son amoureux - aussi journaliste - disparu trop tôt. Oui vraiment. À lire!
CLARENCEVILLE 11 DÉCEMBRE 2023.
Comme Maria Callas n'a jamais eu de rivale, il fallait bien lui en inventer une. Toute sa vie, Carlotta Berlumi aura copieusement détesté la Callas, la Grecque comme elle l'appellelait. Elle lui a toujours fait de l'ombre.
Cette Carlotta, née de l'imagination d'Éric-Emmanuel Schmitt, est en quelque sorte l'alter ego de la soprano Renata Tebaldi (1922-2004), elle-même aussi personnage du roman. Il est clair que la Tebaldi et la Callas ont occupé le devant de la scène lyrique internationale dans les années 50. Étaient-elles de vraies rivales à l'instar de Carlotta Berlumi et Maria Callas?
Ce enième livre d'Éric-Emmanuel Schmitt une petite fantaisie amusante. Ce n'est sûrement pas le meilleur roman d'E.-E. S mais ça se lit vite vite vite. Et surtout, j'ai fait la découverte de Renata Tebaldi, une soprano à la voix magnifique, très différente de celle de la Callas. Mais ne comptez pas sur moi pour vous instruire sur la tessiture distinctive de ces deux divas. La question qu'on se pose : l'auteur préfère-t-il la voix la Tebaldi à celle de la Callas?
CLARENCEVILLE 11 DÉCEMBRE 2023.
Madame Ming a-t-elle pu avoir dix enfants dans un système qui prônait la politique chinoise de l'enfant unique? Vrai ou faux? La réponse est dans le titre.
Pourtant, ses dix enfants, elle ne cesse d'en parler, de vanter leurs talents. C'est au Grand Hôtel de Yunhai que le narrateur - en voyage d'affaires en Chine - fait la connaissance de madame Ming où elle officie à titre de madame pipi.
Une relation faite de curiosité et d'amitié réciproque se tisse entre les deux protagonistes. Madame Ming livre un récit truculent de ses dix enfants, le tout truffé d'aphorismes du grand Conficius.
C'est une petite fable drôle qui se lit tout d'un trait. Du E.-E. S à son meilleur.
À lire aussi :La part de l'autre (2001) et Lorsque j'étais une oeuvre d'art (2002)
CLARENCEVILLE 3 décembre 2023
"Brune? Non. Plutôt châtain foncé avec des yeux noirs." Ainsi commence le trentième roman de Patrick Modiano où il se remémore une danseuse qui suivait des cours avec Boris Kniaseff, un Russe, réputé pour être un des meilleurs professeurs. On est dans les années soixante, une période que privilégie Modiano. Il a dans la vingtaine, vit de petits boulots et rêve de devenir écrivain. C'est une époque un peu bohème, un peu nomade. Il multiplie les rencontres avec des gens "pas toujours recommandables", comme il le dit lui-même.
Il tente de reconstituer le réseau entourant la danseuse - qui n'est jamais nommée- et son fils Pierre. Un lieu, une rue, surgissent du fond de sa mémoire. Des noms, parfois des prénoms.
Avec le temps, son écriture s'épure de plus en plus. Et le récit est de plus en plus ténu. À peine 95 pages. Mais la magie opère toujours. Et la petite musique est toujours là.
CLARENCEVILLE 27 novembre 2023.
Et si...
Imaginez le monde de la musique sans les Beatles, la littérature féministe sans Simone de Beauvoir, un monde sans Rodin, sans Shakpespeare ou Marcel Proust. C'est ce à quoi s'amuse Pierre Bayard dans ce brillant essai Et si les Beatles n'étaient pas nés.
Il explore le monde des univers parallèles, de la physique quantique et de la théorie des trous noirs pour démontrer en quoi les auteurs de chefs d'oeuvre de l'art ou de la littérature ont fait de l'ombre à d'autres sans prendre en compte les dégâts qu'ils ont causés. Auguste Rodin a complètement évincé Camille Claudel, les Beatles, les Kinks, Proust l'ensemble de la littérature française.
Et si ... Et si... On peut ainsi réinventer l'histoire dans des univers parallèles... une sorte d'uchronie qui pourrait donner à certains oubliés (je pense ici au travail fait par l'ethnologue Serge Bouchard) le mérite qui leur revient.
C'est étonnant, brillant, et , je vous jure, ça se lit très bien. Il termine avec l'histoire des Beltracchi (Wolfgang Fischer et Hélène Beltracchi) qui ont été les plus grand faussaires de Kees Van Dongen. Ils ont rajouté une dizaine de tableaux à l'oeuvre du peintre célèbre pour ses nus féminins. Ils ont fait fortune, ont été par la suite démasqués et emprisonnés.
Compléter l'oeuvre d'un artiste - au point de berner tous les experts - n'est-ce pas prolonger son travail dans un univers parallèle. C'est ce qu'a fait ces deux fausssaires avec Kees Van Dongen.
CLARENCEVILLE, 23 NOVEMBRE 2023
Meurtre à Istanbul
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Refaire l'histoire pour mieux la comprendre
Je ne sais pas trop comment parler de ce livre extraordinaire. Tout d'abord merci à Chantal Guy de La Presse pour m'avoir fait connaître cet auteur prolifique édité aux Éditions de Minuit depuis une trentaine d'années.
Point de départ : l'auteur s'est interrogé à savoir comment il aurait réagi face à la barbarie nazie, si, comme son père, il était né en 1922 et étudiant à la célèbre École normale supérieure de la rue d'Ulm dans le Quartier latin.
Toute la réflexion de ce brillant essai (que l'on a de la difficulté à classer entre roman ou essai) repose sur les mobiles qui peuvent amener quelqu'un à pencher d'un bord ou de l'autre de l'histoire. Il donne comme exemple le destin de Lucien Lacombe, le héros du film de Louis Malle scénarisé par Patrick Modiano. La crevaison d'un pneu de son vélo, l'attitude peu amène d'un résistant qui refuse de l'aider le conduit un peu plus loin chez des gens de la Gestapo, avec qui il sympathise. Sans le vouloir, ni peut-être le savoir, il deviendra collabo alors qu'il avait tout du profil d'un résistant.
Il poursuit sa réflexion sur les résistants allemands, notamment le groupe de la Rose blanche qui a tenté de protéger des juifs. Quel est le point de bascule qui fait que le consul du Portugal en Allemagne délivrera, contrevenant aux ordres du président Salazar, des centaines de passeports permettant aux juifs de se rendre en Espagne?
Au fil de sa réflexion, il se questionne sur ce qu'aurait pu être son attitude en 1942, compte tenu de ses valeurs actuelles, étudiant de l'École normale supérieure au milieu des années 80.
C'est très confrontant. Qu'est ce qui fait qu'on s'indigne d'une situation sans trop s'impliquer? La peur physique? La peur de perdre ses acquis? Au contraire, qu'est-ce qui fait qu'on bascule du côté de l'implication? Les valeurs? La religion? L'altrusime?
Cette recherche très fouillée scrute les enjeux moraux et humains derrière de grands génocides : les camps d'extermination nazis bien sûr, mais aussi le massacre des Tusti au Rwanda, la guerre en Bosnie, les horreurs du régime kmer rouge au Cambodge.
Et si....
J'ai déjà hâte de lire à nouveau Pierre Bayard. Certains titres m'intriguent :
- Comment parler des faits qui ne se sont pas produits (2020)
- Comment améliorer les oeuvres ratées (2000)
- Comment parler des livres que l'on a pas lus (2007)
- Et si les oeuvres changent d'auteur (2010)
- Comment parler des lieux où l'on n'a pas été (2012)
- Et si les Beatles n'étaient pass nés? (2022)
De quoi passer l'hiver.
Clarenceville, novembre 2023
Regards et jeux dans l'espace.
A priori, je ne suis pas un amateur, ni un connnaisseur de poésie. Pourtant, j'ai toujours été fasciné par le poète De Saint-Denys Garneau. Déjà au cegep - c'était il y a des siècles - j'avais été envouté par ce petit recueil de poèmes qui allait consacrer De Saint-Denys Garneau comme un des plus grands poètes canadien-français de l'entre-deux guerres. " Regards et jeux dans l'espace", paru en 1937, comprend une trentaine de poèmes écrits en vers libres. Des petits textes étranges, à la fois doux et nostalgiques, pas toujours faciles à décrypter. Un peu comme les textes de Jean Fauque et Boris Bergman qu'a interprétés Alain Bashung. C'était novateur pour l'époque, ce qui n'avait pas l'heure de plaire aux poètes plus classiques.
En fait, je connaissais peu la vie du poète de Sainte-Catherine de Fossambault, cousin d'Anne Hébert, issu d'une famille de la petite bourgeoisie seigneuriale. D'ailleurs, on appelait la résidence de Sainte-Catherine, le manoir.
De Saint-Denys Garneau aura été toute sa vie un éternel adolescent. Il fait des études classiques au Collège Sainte-Marie entrecoupées de nombreux arrêts dûs à une grave insuffisance cardiaque. Il est entouré d'amis indéfectibles - Jean LeMoyne, Robert Élie, Claude Hurtubise, George Beullac - écrit dans des revues et commence à écrire des poèmes.
C'est un être tourmenté, tiraillé entre son désir des femmes et la morale catholique de l'époque - nous sommes dans les années 30- son désir de réussite comme artiste - il est aussi peintre - et son refus d'entrer dans la "vraie" vie . Il se réfugie souvent dans une pratique religieuse extrême. Il n'aura jamais travaillé, vivant aux crochets de ses parents. Sa vie oscille entre des périodes d'euphorie et de dépression. Si le terme avait existé, on aurait sûrement parlé de bipolarité.
Vers l'âge de 25 ans, après la publication de "Regards et jeux dans l'espace " il s'installe définitivement à Sainte-Catherine de Fossambault, dans la résidence familiale. Il coupe les liens avec ses amis montréalais, cesse peu à peu d'écrire - et même de lire - et choisit de vivre en ascète, comme un moine. Ses crises d'angoisse sont de plus en plus fréquentes.
Il meurt le 24 octobre 1943 en revenant de faire une descente en canot. Crise cardiaque, suicide déguisée. On n'a jamais su. On ne saura jamais. Il avait tout juste 31 ans.
Après sa mort, son oeuvre poétique sera reconnue, étudiée dans les écoles. Il fera l'objet de plusieurs biographies. La publication de son journal et des lettres à ses amis au début des années 60 contribueront à alimenter le mythe De Saint-Denys Garneau.
Une biographie bien documentée, très agréable à lire.
À lire aussi : Saint-Denys Garneau . Journal. Éd. Beauchemin, 1967
Saint-Denys Garneau. Lettres à ses amis. Hurtubise HMH. 1970.
Clarenceville, octobre 2023.
Welcome to LA
East-West, le titre de l'album du Butterfield Blues Band de 1966, California Dreamin de The Mamas and the Papas me trottent dans la tête en lisant La ville de nulle part, ce très beau roman de la grande écrivaine américaine Alison Laurie paru en 1965. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps? Je n'en sais trop rien. Manque de temps sûrement. Il y a longtemps que je voulais lire Alison Lurie,
Paul Cattleman, historien, et sa femme Kaherine débarquent de Boston où il a accepté de rédiger l'histoire d'une grande entreprise. La ville de nulle part, c'est bien sûr Los Angeles au milieu des années 60.
C'est un portrait tout en finesse d'une Amérique plus traditionnelle, Boston et d'une autre plus aventureuse incarnée par Los Angeles.
Mais c'est aussi et surtout l'histoire d'un jeune couple qui se délite au fil des mois au contact de cette ville tentaculaire.
Alison Laurie décrit LA de manière magistrale: ses palmiers, ses piscines - on croirait voir des toiles de David Hockney - ses starlettes de cinéma, sa nonchalance, sa sécheresse.
On assiste à la lente désagrégation du couple Cattleman tandis que se profilent les personnages d'une serveuse, d'une starlette et d'un psychiatre, professeur à UCLA. Tous, à un titre ou à un autre, ont quelque chose à voir dans cette chute.
C'est une peinture de moeurs, pour utiliser une expression à la mode dans les année 70. C'est grave et léger à la fois.
J'ai bien l'intention de lire Les amours D'Émily Turner (1962) et Liaisons étrangères (1985).
À venir......
CLAFRENCEVILLE, OCTOBRE 2023
Un ado à l'ère du pléisthocène en Afrique
Il y a très très longtemps, des milliers d'années, c'était au temps du pléisthocène, vivait Ernest un jeune pithécanthrope. Comme tous les jeunes il rêvait de changement, de modernité et de confort.
La vie était dure. Il fallait littéralement déchiqueter à pleines dents, ours, crocodiles, éléphants. Dur dur pour les dents.
Heureusement, Édouard, le patriarche, ne manque pas d'idées. Il fera par hasard la découverte du feu et par la suite de l'usage qu'on peut en faire pour cuire les aliments. La découverte des cavernes permettra d'améliorer le confort. Ensuite, la chasse aux femelles sera le début de la vie de famille et de l'exclusivité sexuelle. Chaque mâle de la famille aura trouvé (chassé) sa compagne.
C'est cette histoire de famille que raconte Ernest. Les projets d'Édouard sont souvent contrariés par l'Oncle Vania. C'est le combat entre le progressiste et le réactionnaire. Dans ce roman, il y a plein d'analogies avec le monde moderne. Par exemple la découverte du feu et des risques qu'elle encourt est une métaphore du nucléaire.
C'est un classique du roman humoristique anglais. IL m'avait été chaudement recommandé par une amie. Je n'ai pas été déçu.
Îles de la Madeleine, septembre 2023.
Balade artistique sur l'île de l'Étang-du-Nord / la vie et les oeuvres d'Arthure
Je l'ai déjà dit, Arthure a tous les talents. Elle peint, elle est poupéiste, elle crée des personnages plus grands que nature, elle tient un petit salon de thé (elle a d'ailleurs une collection impressionnante de tasses) en plus de nourrir les chats qui flânent près du quai de l'Étang-du-Nord. Elle en a bien sûr adopté quelques uns.
Il y a plus de vingt-cinq ans maintenant, elle est retournée vivre aux îles de la Madeleine, à l'Étang-du-Nord, après avoir travaillé au cegep de Matane pendant plusieurs années.
Arthure vient de publier aux éditions du Flâneur (j'avais oublié de vous dire qu'elle a sa propre maison d'édition) Je vis sur une île, un très beau livre qui résume son parcours de peintre. Chaque oeuvre raconte une histoire, son histoire, l'histoire des îles.
C'est un genre de Table Book qu'on lit, qu'on feuillette, qu'on relit. Et c'est très beau.
Mais c'est beaucoup plus que ça. C'est l'histoire d'une vie d'artiste, c'est une ode aux îles de la Madeleine et à l'Étang-du-Nord son patelin, au sens le plus noble du terme.
Au fait, j'ai toujours voulu demander à mon amie Pierrette - que je connais de longue date - pourquoi elle a choisi ce surnom d'Arthure. Et j'oublie toujours.
Une comète dans le ciel de New-York
Jay, Jean-Michel Basquiat, aura traversé la vie à la vitesse de l'éclair. Il aura marqué l'art contemporain en introduisant l'art de la rue dans les musées.
Contrairement à beaucoup d'autres artistes, il a rapidement connu la gloire et la célébrité. Et il en a largement profité. Il en a même abusé. Il dépense sans compter, mange dans les meilleurs restaurants, boit des grands crus, porte des complets Armani. Il multiplie les conquêtes amoureuses, dont Madona. Les filles sont folles de lui. Il consomme beaucoup, dans les deux sens du terme.
Il gravite dans l'univers d'Andy Warhol et de Keith Harring. Il est la coqueluche de New-York. Ses oeuvres s'envolent à prix d'or. Il est réputé être arrogant et mal poli.
Malgré la richesse, il cultive à plaisir son côté bad boy n'hésitant pas à envoyer promener de riches collectionneurs si leur tête ne lui plait pas.
Son addiction à l'héroine et la cocaine lui sera fatale. Déjà à 28 ans, il est fatigué et en a marre du cirque new yorkais. Il veut tout arrêter. Il se réfugie à Hawai pendant quelque temps avant de revenir à New York où ses démons l'attendent. Il meurt d'une overdose le 28 juillet 1988.
Eroica, c'est le titre de la Symphonie no 3 de Beethoven que Basquiat écoutait régulièrement en peignant dans son atelier de NOHO.
CLARENCEVILLE, septembre 2023.
Pour en finir avec les transfuges de classe...
Je me souviens il y quelque temps d'une discussion intéressante avec un ami français, Fabrice pour ne pas le nommer, au sujet du concept de transfuge de classe. Il en est beaucoup question en France, beaucoup moins chez-nous. Ce qui ne veut pas dire pour autant que le phénomène n'existe pas de ce côté-ci de l'Atlantique. Mais ce n'est pas la même chose.
Voici la définition qu'en donne Chantal Jacquet, historienne de la philosophie, spécialiste de Spinoza, de la philosophie du corps, etc, elle-même se définissant comme une transfuge de classe : transfuge de classe ou transfuge social ou transclasse désigne un individu ayant changé de milieu social au cours de sa vie.
Un des ouvrages cités en référence lorsqu'on aborde le sujet est Pour en finir avec Eddy Bellegueule d'Édouard Louis. Eddy Bellegueule (ça s'invente pas un nom pareil) est né dans un petit village de Picardie dans une famille pauvre financièrement et intellectuellement. Eddy est chétif, un peu efféminé et est la cible de plusieurs de ses camarades de classe qui le traitent de tantouze, tapette, etc. Vite, il découvre qu'il est attiré par les garçons ce qui ajoute encore à l'ostracisation dans ce petit village.
Eddy va tout faire pour sortir de son milieu, changer ses manières, sa façon de manger trop paysanne, son accent, faire arranger ses dents, bref il veut changer de statut social. Il ira jusqu'à changer son nom. Il deviendra Édouard Louis. On efface tout, on recommence.
Il accèdera aux études universitaires, l'École des hautes études en sciences sociales, l'École normale supérieure. Il est maintenant écrivain, traducteur et vit à Paris. Il fréquente les milieux bourgeois et écrit sur son transfuge social.
Oui il s'agit bien ici d'un phénomène de transfuge de classe. Il avait honte de sa famille et rêvait de changer de milieu.
Mais là où la discussion devient intéressante, c'est
lorsque l'on utilise le concept de transfuge de classe parlant d'une personne venant d'un milieu modeste qui accède aux études supérieures, qui vit finnacièrement plus à l'aise que ses parents, qui utilise un vocabulaire différent, a des goûts différents de ceux de ses parents, etc.
J'ai connu et je connais beaucoup de gens qui vivent cette situation ( beaucoup de babyboomers d'ailleurs) sans jamais que l'on utilise ce concept chez-nous. À ce compte-la, nous sommes tous un peu des transfuges de classe, du moins dans mon entourage. Nommer le phénomène et s'en revendiquer me semble plus relever de la culture française, là où les classes sont davantage présentes (et identifiées) à plusieurs niveaux de la société.
Au final, je trouve le récit d'Édouard Louis (Eddy Bellegueule) assez impudique (comme Christine Angot) et ma foi, un peu déprimant. C'est assez court, heureusement! Si ce genre de littérature - qu'on appelle auto-fiction - vous intéresse, il faut lire aussi Annie Ernaux. C'est d'un autre niveau tout de même. Surtout Les Années.
Clarenceville, septembre 20023
Les éminences grises à l'heure du Big Data
À une époque, on les appelait les éminences grises, du nom du père Joseph*, proche conseiller du Cardinal Richelieu, ministre des finances sous Louis XIII.
C'est dire que le recours par les gouvernants à des proches conseillers qui opérent dans l'ombre ne date pas d'hier.
À l'heure du WEB 2.0, ils s'appellent spin doctors et n'opèrent plus vraiment dans l'ombre. Ce sont Steve Banon, Arthur Filkenstein, Gianroberto Casallegio, pour ne nommer que ceux-la. Giuliano da Empoli les appelle à juste titre les ingénieurs du chaos.
Les réseaux sociaux et Facebook en particulier sont leur terrain de jeu : le recours à des experts du Big Data, à des scientifiques, à des idéologues est en train de redéfinir une nouvelle démocratie directe plus participative. Ça c'est pour la théorie.
Dans les faits, cette nouvelle démocratie directe sert les intérêts des Donald Trump, Jair Bolsonaro, Matteo Salvini (Italie) ou Viktor Orban (Hongrie) de ce monde. Drôle de hasard : ils sont pas mal tous de droite. Populisme, fake news, propagande, surfing sur le mécontentement, nationalisme exacerbé, exploitation des craintes, rejet des élites, tout est bon pour arriver à ses fins. On réussit ainsi à mieux cibler les messages en fonction des électeurs potentiels.
C'est un essai brillant, riche en documentation, bien écrit et qui se lit facilement pour un néophyte - comme moi - en matière de stratégie politique. Avec Giuliano da Empoli, on entre par la grande porte dans les arcanes de la politique populiste.
C'est bel et bien le livre qui est à l'origine de son roman Le mage du Kremlin paru en 2022 et qui a obtenu un grand succès.
* Il était père capucin et portait une longue bure grise.
Mourir debout
C'est un roman coup de poing d'un auteur que je ne connaissais pas. Quelle découverte!
Jefferson est un jeune noir à peu près analphabète, sans ressource, avec sa tante Emma comme seule famille. Accusé injustement d'un crime qu'il n'a pas commis et incapable de se défendre, il est condamné à la chaise électrique. Comme seule défense, son avocat commis d'office va le traiter de véritable animal (un porc) , incapable de même planifier un crime.
Grant Wiggins, le professeur de l'école du village, sera chargé, à la demande de tante Emma, de faire de Jefferson un homme avant de mourir.
Ce sera le début d'une série de rencontres avec le condamné à mort dans sa cellule. Wiggins est rempli de doutes et peine à mener à bien sa mission.
Rapidement, il s'instaure un véritable duel entre et lui et le pasteur Ambrose sur le salut de l'âme de Jefferson.
La lecture du petit cahier qu' a écrit Jefferson (à la demande de Wiggins) au cours des derniers jours est à tirer les larmes. On aurait envie de le serrer très très fort.
Gaines dresse un magistral portrait sociologique de la Lousianne ségrégationniste des années 40. C'est un roman beau, bouleversant, touchant, révoltant dont on ne sort pas tout à fait indemne.
Clarenceville, août-septembre 2023.
Souvenirs de guerre
L'auteur est en tournage dans le Grand Nord canadien lorsqu'il apprend la mort de son père. Il s'est jeté du sixième étage emportant dans sa chute, au fond de ses poches quelques objets qui vont servir à l'auteur pour reconstituer son histoire familiale.
Une lettre d'amour, un canif, une boucle de ceinturon à l'effigie du IIIe Reich -sans doute volé à l'ennemi - et voilà le fils parti à la recherche de ce père secret, tourmenté qui cache une grande blessure.
La majeure partie du livre retrace le parcours de Jacques qui a rejoint la Résistance après une rafle à Paris durant l'Occupation.
L'auteur retournera sur les lieux de l'enfance dans le XIXe arrondissement de Paris où son père exerçait le métier de marchand de quatre-saisons.
C'est un récit bref et touchant, un hommage du fils à son père.
Clarenceville, août 2023.
Il connaît la Nouvelle Vague
Patrick Roegiers aime le cinéma et connaît bien le cinéma, notamment la Nouvelle Vague.
C'est un bien drôle de livre qui porte le titre de Nouvelle vague, roman... oui il y est beaucoup question cette école de cinéma née au milieu des années 50, mais ce n'est pas un roman.
Première mise au point : il est essentiel d'avoir vu les films (du moins ceux dont il fait mention, je dirais même qu'il décortique) de Truffaut, de Louis Malle, d'Agnès Varda, de Claude Sautet, de Claude Chabrol, d'Éric Rohmer, de Godard et d'Alain Resnais pour apprécier l'érudition cinématographique de l'auteur. Et même qu'il faut les revoir ces films... et c'est là l'intérêt.
Deuxième mise au point : il se faut se préparer à lire un livre un peu décousu, sans liens apparents et avec des intercalations récurrentes d'un dialogue ( un agent immobilier fait visiter des appartements à un client difficile) entre Jean-Pierre Bacri et André Dussolier tiré du film de Resnais On connaît la chanson.
Pourquoi? Mystère! et agacement...
À travers tout ça, on peut lire des anecdotes de tournage, des notes biographiques de réalisateurs, des potins de vedettes et souvent des liens entre les mêmes lieux de tournage dans des films différents. Il mélange tout et on navigue entre fiction et réalité.
Ça vaut le coup? Oui si vous aimez le cinéma et principalement le cinéma français de cette époque (bien que son recensement va bien au-delà de la Nouvelle vague) . Si vous n'aimez pas les films de Rohmer et qu'Alain Resnais vous ennuie à mourir, prière de vous abstenir.
Pour ma part, j'ai pris plaisir à lire cette étrange chose (j'avais vu la plupart des films dont il est question) bien que j'aie trouvé certains effets de style un peu agaçants... et puis j'aurais supprimé quelques dialogues. À vous de vous faire une idée.
Chose sûre, je vais (re) revoir On connaît la chanson d'Alain Resnais, Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda, À bout de souffle de Godard, Baisers volés de Truffaut et certains films de Chabrol.
C'est déjà ça...comme dans la chanson d'Alain Souchon.
Stage Fright (en hommage à Robbie Robertson) 1943-2023)
(et un bon titre pour un spectacle français)
Juste avant le spectacle qu'il doit donner au théâtre Antoine, un acteur se réfugie dans la salle voisine. Il est terrorisé à l'idée de monter sur scène.
On le croirait poursuivi par quelqu'un. C'est le grand vide. Il fait part au régisseur de ses angoisses, de ses peurs. Le métier d'acteur, qu'est-ce au juste? Doit-il continuer? Changer de vie?
Il convoque des maîtres : André Malraux, Charles Bukowski, Thomas Bernhard et Romain Gary. Qu'auraient-ils fait à sa place?
C'est tantôt drôle, tantôt angoissant. C'est élégant et fort bien écrit.
En fait, je ne vous l'ai pas dit. C'est la retranscription de la pièce jouée par Édouard Baer au Théâtre Antoine à Paris en avril 2019.
Ça donne envie de voir le spectacle.
Depuis quelque temps, Edouard Baer fait un spectacle lecture de Patrick Modiaano. Ça aussi, j'aimerais bien voir.
London Rock'n Roll
Je le dis à chaque fois que je lis un roman de Jonathan Coe : il fait partie de mes auteurs préférés. Les nains de la mort paru en 1990 est presque un roman de jeunesse.
William un jeune musicien a débarqué à Londres dans l'espoir de faire carrière. Tout ne sera que contrariétés : ses amours avec Madeline, son band de musiciens tendance punk avec lequel il a beaucoup de difficulté à s'entendre. Et comble de malheur, il assiste malencontreusement, au studio délabré où ils répètent, au meurtre violent de Paisley un membre du groupe.
Il fera la connaissance de Tina, dont il tombe amoureux.
Celle-ci , on s'en doute, a quelque chose à voir avec les nains de la mort responsables de l'assasinat de Paisley.
C'est un roman sur les désillusions amoureuses, les rêves impossibles dans le Londres des bars glauques au milieu des années 80.
Ce n'est pas du grand Jonathan Coe (on lui pardonne : il a écrit de si belles choses depuis) mais ça se lit rondement.
À LIRE : La trilogie anglaise qui comprend: Bienvenue au club (2001) Le cercle fermé (2004) Le coeur de l'Angleterre (2018) et plus récemment Le royaume désuni (2022)
Iles de la Madeleine , août 2023
Deux idiots à la quête du savoir
Ils sont les ancêtres de Dupond et Dupond, d'Abott et Costello et de Laurel et Hardy. Bouvard et Pécuchet, deux anciens greffiers se lient d'amitié. Ce duo marginal s'installe en Normandie où ils mettent au point leur projet commun : explorer tous les savoirs du monde.
Ils seront tantôt jardiniers, fermiers, guérisseurs, hygiénistes, géologues, romanciers et j'en passe. Toutes ces expériences seront de cuisants échecs. En fait, Bouvard et Pécuchet sont un condensé de la bêtise humaine que Flaubert prend un malin plaisir à décrypter. En voulant expliquer la raison de leurs échecs, il propose un véritable traité des découvertes scientifiques et de l'état du savoir au milieu du dix-neuvième siècle grâce aux nombreuses notes en bas de page de cette édition anniversaire..
Aux dires des spécialistes, c'est le roman le plus ambitieux de Flaubert qu'il avait entrepris à la fin de sa vie. À sa mort en 1880, il n'avait pu terminer ce premier tome et un deuxième et un troisième étaient prévus. Comme quoi la bêtise humaine est inépuisable.
Ses intentions concernant Bouvard et Pécuchet étaient claires : je médite une chose ou j'exhalerai ma colère. Oui, je me débarrasserai enfin de ce qui m'étouffe. Je vomirai sur mes contemporains le dégoût qu'ils m'inspirent, dussé-je m'en casser la poitrine.
De Flaubert, je n'avais lu que Madame Bovary. Une émission de La Grande Librairie consacrée à Gustave Flaubert m'a donné envie de lire cet ouvrage inclassable dans l'histoire de la littérature.
Il aurait été intéressant de voir jusqu'où auraient pu nous mener ces deux étranges bonshommes.
Îles de la Madeleine, juillet 2023
Dating à la japonaise
Attention! Ce livre ne va rien révolutionner. À bien y penser, je ne sais même pas trop pourquoi je l'ai acheté. J'aime le Japon et la culture japonaise, que je trouve un peu weird, m'a toujours intrigué.
L'autrice, une jeune française, sans trop savoir pourquoi, quitte la France pour tenter l'aventure au Japon, à Tokyo.
Elle trouve un travail dans un petit restaurant - izakaya - et pour parfaire son japonais elle s'inscrit sur tinder. L'occasion rêvée de découvrir le monde des relations homme-femme au pays du Soleil Levant. L'art de la drague et de la séduction (dating) est très codifié et se pratique différemment qu'à Paris.
Les Japonais "datent" pour tout : trouver quelqu'un avec qui prendre un bain, faire une promenade, trouver le grand amour, faire un faux mariage en photos ou encore trouver un partenaire d'un soir. Une infinité de possibilités. On est très sensible au signe astrologique et surtout - drôle de bizarrerie - au groupe sanguin.
Un petit voyage un peu rigolo au pays de l'intimité chez les Japonais.
Amusant, sans plus. Vite lu. Vite oublié.
Îles de la Madeleine, août 2023
Auteur en quête de personnages
Un écrivain en mal d'inspiration décide un beau jour de raconter l'histoire de la première personne qu'il rencontre en descendant de chez-lui.
Le hasard le fait tomber sur Madeleine Tricot, une veuve octogénaire maintenant retraitée. Il fera la connaissance de Valérie, sa fille et de son mari Patrick Martin ainsi que de leurs deux enfants Jérémie et Lola. La famille est presque complète. Il ne manque que Stéphanie, la soeur de Valérie, qui s'est exilée aux États-Unis. Je vous laisse le plaisir de découvrir pourquoi.
René, le mari de Madeleine est décédé depuis plusieurs années. Avant, elle avait vécu un amour passionné avec Yves Urimbert parti à Los-Angeles il y a bien des années, juste au moment de leur mariage sans jamais donner d'explication. Elle ne s'en était jamais vraiment remise.
L'arrivée de l'écrivain dans la famille Martin viendra brasser les cartes pour le meilleur ou pour le pire.
Madeleine avait fait carrière dans la maison Chanel comme couturière. Lorsque ça manque d'action dans la famille Martin, l'auteur comble des vides en racontant des anecdotes sur Karl Lagarfeld avec qui Madeleine a travaillé et pour qui elle n'at que des bons mots.
Un petit roman qui se dévore en quelques heures et qui ne manque pas d'humour et d'originalité.
Au bord du trou
Ils sont deux, Raymond et Claire. Un frère, une soeur, des jumeaux. Le père et la mère.
Ils vivent, locataires de monsieur Maloney, que les enfants appellent monsieur Baloney. Leur maison n'a pas de seuil - faute d'avoir terminé les travaux - ce qui oblige à une gymnastique pour entrer et sortir de la maison.
Un père violent, monstrueux, une mère presque mutique. La mère et les enfants s'inventent ds jeux lorsque le père n'est pas là.Comme par instinct de survie. C'est cet univers glauque que raconte Sylvie Drapeau dans ce court roman.
C'est un univers presque irrespirable dans un lieu qui n'est jamais nommé, près d'une mine. La maison est près d'un trou qui aura un rôle déterminant dans le dénouement de l'histoire.
C'est écrit avec beaucoup de sensibilité. C'est tristement beau. Encore une fois, cet univers m'a rappelé celui de Gaétan Soucy dans La petite fille qui aimait trop les allumettes que j'avais évoqué à la suite de la lecture d'une nouvelle de Kensaburô Ôé il y a quelques semaines.
Et comme toujours, une très belle écriture.
Juillet 2023.
Histoires d'amour dans les fjords islandais
C'est un livre exigeant. C'est un livre long, un peu trop long peut-être. Près de 600 pages.
Mais en même temps, c'est un roman extraordinaire. C'est le roman de l'amour absolu dans les fjords islandais. Amours impossibles, amours contrariées, amours déçues, amours virtuelles. L'amour toujours l'amour dans toutes ses déclinaisons mais aussi la Mort. Éros et Thanatos.
L'auteur n'a pas rendu la tâche facile à son lecteur. La structure narrative est extrêmement complexe, faite de sauts vertigineux dans le temps, d'un paragraphe à l'autre. Tous ces récits qui s'étalent sur plus d'un siècle racontent une grande histoire de famille. On s'égare, on se perd et soudain, on reprend le fil.
À première vue, tout ceci peut paraître rédhibitoire. Il faut s'accrocher, mais ça vaut le coup. Et les amateurs de musique seront ravis. Tout le récit est traversé par une bande musicale dont on retrouve la liste (la camarde)*au dernier chapitre.
Après ça, on a envie de plonger dans une lecture plus légère. Pourquoi pas La famille Martin de David Foekinos.
* La camarde est une représentation anthropomorphique de la Mort. Je l'ai appris en lisant ce livre.
Clarenceville : juin-juillet 2023
Journal intime
L'année du singe, c'est 2016 dans l'horoscope chinois. C'est aussi la soixante-neuvième année de Patti Smith.
C'est une suite à Just Kids paru en 2010 sur ses débuts de chanteuse et sa relation avec Robert Mapplethorpe dans le New-York des années 70.
Depuis, bien de l'eau a coulé sous les ponts. Son mari et le père de ses deux enfants, le musicien Frederick Dewey Smith est mort en 1994. Sam Shepard, déjà très malade depuis quelques années, est mort en 2017. Il aura occupé une place très importante dans sa vie tant sur le plan personnel qu'artistique.
C'est un livre teinté d'une douce nostalgie qui tangue toujours entre le rêve et la réalité. Et écrit dans une langue parfois très poétique. Se profilent les ombres fantômatiques de Jimi Hendrix, Jerry Garcia, Jackson Pollock et du Dream Hotel à Santa Cruz, Californie.
Il ne faut pas oublier que 2016, c'est aussi l'accession à la Maison Blanche de celui qu'elle appelle le diable aux cheveux jaunes. Une des plus grandes calamités de l'histoire américaine, laisse-t-elle entendre.
JUIN 2023
Au coeur de la folie et de l'isolement
Jai découvert tout récemment Kenzaburô Ôé, ce grand écrivain japonais, Prix Nobel 2004, décédé au début 2023.
Ce sont quatre nouvelles marquées par deux événements importants dans la vie de Kenzaburô Ôé : la seconde guerre mondiale et la naissance d'un enfant anormal en 1964.
Gibier d'élevage raconte l'impact qu'aura eu sur les habitants d'une petite île, la capture d'un soldat noir américain.
Dites-nous comment sortir de notre folie, c'est l'histoire d'un père obèse qui tente de créer des contacts avec son fils handicapé mental, lui aussi obèse. C'est un genre de conte cruel, à la fois triste et touchant.
Agwîî le monstre des montagnes est le fantôme de l'enfant qu'un couple a fait disparaître à sa naissance le croyant très handicapé, à la suite d'un faux diagnostic.
Enfin, Le jour où Il daignera Lui-même essuyer mes larmes est un des récits les plus anxiogènes qu'il m'ait été donné de lire. Il (il n'est pas nommé) a 37 ans et se meurt d'un cancer du foie. Il veut à tout prix raconter l'histoire de sa vie qu'il dicte à une infirmière qu'il appelle son exécutrice testamentaire. Une mère folle, un père disparu en août 1945, à la fin de la guerre. Un univers glauque où se mêlent la violence et la folie.
Ça me rappelle l'univers angoissant de La petite fille qui aimait trop les alumettes de Gaétan Soucy paru en 2011.
De la grande littérature, indéniablement. Mais à consommer à petites doses.
Îles de la Madeleine, juin 2023
L'autre Harry Potter
David Foenkinos est un auteur prolifique, c'est le moins qu'on puisse dire. Et il ne manque pas d'imagination non plus.
On connaît tous l'immense succès planétaire de Harry Potter et de ses adaptations au cinéma. Après un casting où on aura rencontré des centaines de jeunes garçons, c'est finalement Daniel Radcliffe qui incarnera Potter à l'écran. L'autrice, J.K. Rowling, avait été ferme là-dessus : le comédien choisi devait être anglais et non américain.
Ce que l'on connaît moins, c'est qu'il y a eu un numéro deux, celui qui aurait pu obtenir le rôle, le jeune Martin Hill. Il avait eu le temps de se faire à l'idée qu'il pourrait être Harry Potter. Sa déception sera immense. Il vivra cette aventure comme un échec cuisant. D'autant plus qu'il peut difficilement éviter Harry Potter qui est partout pour lui rappeler sa déconvenue : dans les librairies, au cinéma, à l'école. Difficile de l'oublier. Toutefois, il fera deux rencontres déterminantes : un autre numéro deux et le numéro un.
On ne sait pas trop où s'arrête la réalité et où commence la fiction. C'est là tout l'intérêt.
J'ai toujours un grand plaisir à lire David Foenkinos. Et comme il écrit beaucoup, c'est un plaisir qui se renouvelle presque chaque année.
À lire aussi : Le potentiel érotique de ma femme / La délicatesse/ Charlotte / Le mystère Henry Pick / Vers la beauté.
Îles de la Madeleine , mai 2023
Un gentleman à l'hôtel Metropol
Nous sommes dans les années 20 après la chute des tsars et l'avènement du bolchévisme.
Le comte Alexandre Illich Rostov, un aristocrate haut en couleurs, est assigné à résidence au luxueux hôtel Metropol (il existe toujours) à Moscou.
Le comte Rostov connaîtra les restrictions du nouveau régime : il devra déménager de sa suite qu'il occupait dans une chambre beaucoup plus petite et de client, il deviendra serveur au Boyarski, le grand restaurant de l'hôtel.
Au cours des vingt ans qu'il passera dans ce grand hôtel, il fera la rencontre de diplomates importants, d'une actrice célèbre mais aussi de Nina, une jeune fille de douze ans, qui aura une importance déterminante dans sa vie (et on n'est pas du tout chez la Lolita de Nabokov, soyez rassurés). De sa prison dorée, mais une prison tout de même, il aura bien sûr tout le loisir d'assister aux changements que connaît la Russie à cette époque. Tout ce qui compte passe par l'hôtel Metropol.
Ce roman fait plus de 600 pages. On ne s'ennuie pas une seconde. C'est un véritable turning page. Il y a des rebondissements incroyables et une fin déconcertante que je ne vais surtout pas vous révéler ici.
Je m'imaginais faire un casting pour le film adapté du roman : Peter Ustinov ou Philippe Noiret en comte Alexandre Illich Rostov, Jacqueline Bisset en Anna, la grande actrice et une jeune actrice comme Audrey Tautou incarnant Sofie. Encore aurait-il fallu que le film soit tourné au milieu des années 80, alors que le roman a été écrit en 2016. Mauvais timing.
Mais il y a toujours matière à faire un bon film.
CLARENCEVILLE MAI 2023
FLORIAN ZELLER / LA FASCINATION DU PIRE
Martin et le narrateur, tous deux écrivains, sont invités à participer à un colloque au Caire. Ils font connaissance à Roissy au départ de l'avion.
Guidés par Jérémie, l'attaché à l'ambassade de France, nos deux écrivains déambulent dans la ville
Martin, d'origine suisse, est fasciné par Le voyage en Égypte de Gustave Flaubert où il raconte ses aventures érotiques avec les plus belles prostituées. Il partira donc à la recherche d'aventures dans les bas-fonds du Caire. Mais plus rien n'est comme avant.
Entre les réceptions d'ambassade, les mezzé et le champagne, on assiste à des discussions enflammées entre intellectuels sur la sexualité et l'islam, sur l'islamisme, la censure littéraire (Madame Bovary est considéré comme un ouvrage à proscrire), etc.
Jusqu'ici, rien de vraiment novateur, bien que ce soit tout de même intéressant. Et les ombres de Sollers, de Houellebecq et même de Voltaire ne sont pas très loin.
Mais au chapitre final, tout bascule dans un jeu de manipiulation très habile que je ne voudrais surtout pas divulger.
Très intéressante lecture d'un livre qui dormait dans ma bibliothèque depuis quelques années.
Clarenceville, mai 2023.
NICOLAS BOCQ / LE SORTILÈGE MODIANO
Que faire quand on est un aficionado de Patrick Modiano. Le lire, le relire, bien sûr. On peut aussi vouloir lui rendre hommage. C'est ce qu'a voulu faire Nicolas Bocq dans cet étrange récit - à mon avis, pas très réussi - Le sortilège Modiano.
Marc Viker, issu d'une famille modeste, a réussi une brillante carrière d'avocat à Bordeaux. À Paris, où il va régulièrement, il revoit Anne, un amour d'adolescence, ce qui le replonge dans des souvenirs enfouis. Sa femme, avec qui il vit depuis trente ans, s'appelle aussi Anne. Et puis...rien. Déception!
Il a toujours avec lui un livre de Modiano dont il se plaît à citer des extraits. Est-ce pertinent? Pas vraiment! Ça fait à peine 130 pages. Heureusement.
Pour ma part, le lire et le relire, c'est ma manière de lui rendre hommage.
Clarenceville, avril 2023
JONATHAN COE/ LE ROYAUME DÉSUNI
Au risque de me répéter, j'adore la littérature anglaise et David Lodge et Jonathan Coe figurent au top 5 de mes auteurs favoris.
Je n'ai pas été en reste avec son dernier roman Le royaume désuni. Jonathan Coe est un formidable conteur, passionné par l'histoire de l'Angleterre.
Le roman s'ouvre et se termine au printemps 2020, au moment où l'Angleterre, à l'instar du reste de la planète, commence à se confiner.
Entre-temps, on aura suivi l'histoire de la famille de Mary Clarke et de Geoffrey Lamb. Une famille de la classe moyenne de Birmingham, ville réputée pour sa chocolaterie.
L'histoire de cette famille est racontée (et c'est là tout l'intérêt) à travers sept événements marquants de l'histoire de l'Angleterre : le jour de la Victoire en mai 1945, le couronnement de la reine Élizabeth II en juin 1953, la coupe du monde Angleterre-Allemagne de l'Ouest en 1966, l'investiture du Prince de Galles en juillet 1969, le mariage du prince de Galles et de Lady Diana Spencer em juillet 1981, les funérailles de Lady Di en septembre 1997 et enfin le 75e anniversaire de la Victoire le 8 mai 2020 en plein confinement avec Boris Johnson comme premier ministre.
Voilà. La boucle est bouclée. On aura fait la connaissance de la famille Lamb-Clarke avec en toile de fond un contentieux au sein de l'Union économique européenne sur la commercialisation du chocolat, la France et l'Allemagne contestant l'authenticité du chocolat anglais.
C'est un roman très habilement construit, à la fois drôle et dramatique. On ne s'ennuie pas une seconde.
Clarenceville, avril 2023
YASMINA REZA / SERGE
BEAUTIFUL LOOSER
Il est rare que je termine un livre et que je ne sache absolument pas quoi en dire. Et bien voilà!
Ce dernier roman de Yasmina Reza tourne autour de Serge et de sa famille: son frère (le narrateur), sa soeur, sa fille et sa femme,Valentina.
Serge n'a pas le bonheur facile. Éternel insatisfait, il s'ennuie. En plus, sa femme vient de le mettre à la porte.
Le voyage en famille à Auschwitz (très long) servira de prétexte à une présentation de la dynamique de cette famille d'origine juive.
Pas toujours facile à suivre ce roman où surgisssent à l'improviste des personnages qu'on a peine à situer dans le récit.
Ça me semble un roman pas vraiment abouti... qui nous laisse un peu sur notre appétit.
CLARENCEVILLE, avril 2023.
ANDREA CAMILLERI / LE CUISINIER DE L'ALCYON
ADIEU MONSIEUR CAMILLERI
Voilà!
Andrea Camilleri est parti en 2019 laissant dans le deuil, Montalbano lui-même, Catarella (au parler si typique) et toute la Questure de Vigatà.
Il nous laisse quand même un dernier roman Le cuisinier de l'Alcyon,une histoire de traficants internationaux aux rebondissements improbables avec un agent du FBI sicilio-américain en toile de fond.
La relation en dents de scie entre Montalbano et Livia, les petit plats mitonnés par Adelina, l'hébêtude de Catarella, le bistro chez Enzo, tout ça va nous manquer un peu.
Et que dire de la traduction de Serge Quadruppani qui est en soi un véritable travail d'écrivain.
Adieu Salvo Montalbano.
Clarenceville, avril 2023.
KEVIN LAMBERT/ QUE NOTRE JOIE DEMEURE
Privilèges de classe
Ce troisième roman de l'auteur Kevin Lambert - Querelle de Roberval (2018) et Tu tueras ce que tu as aimé (2017) est marqué du sceau des dérives du grand capitalisme.
Disons d'emblée que son deuxième roman paru en 2018 avait été largement plébiscité ici au Québec, mais aussi ailleurs dans la francophonie. Kevin Lambert est originaire du Saguenay,
Bienvenue dans le monde des bien nantis, de ceux qui ont réussi et qui comptent dans leur carnet d'adresses les numéros de téléphone des plus influents, ministres, mécènes, richissimes financiers, célébrités artistiques.
On s'invite beaucoup pour des soupers entre amis, surtout quand on a le personnel. Sinon on fait ça à la bonne franquette: l'amie Dina, milliardaire qui a fait fortune dans l'informatique (et cuisine bien) et Cai, son mari investisseur, partent le bal, On sort champagne et grands crus de la cave et on cuisine autour de l'immense ilôt de travail. Du végétarien souvent. Tout le monde met la main à la pâte. C'est pas parce qu'on est riche qu'on ne peut pas être simple des fois. Toutefois, la cuisson des viandes est réservée au personnel engagé quand on en a. Ce sont alors des soupers ou dîners plus officiels.
Dans ces soupers, on voit Céline Wochowski, une architecte montréalaise d'envergure internationale. Elle a construit certains des plus grands musées dans le monde, des résidences de luxe pour vedettes en Californie, en Italie, des édifices commerciaux. Elle connaît bien Frank O'Gehry, Zaha Hadid, Christian Porzamparc. Elle est aussi connue que Gio Ponti dans les années 60. Elle a créé du beau. Beaucoup de ses meubles devenus iconiques meublent des appartements de grand standard un peu partout dans le monde. On a écrit plusieurs livres sur son oeuvre.
Ce soir, pour célébrer son 70e anniversaire, son amie Dina a invité dans sa luxueuse demeure de Montréal une quarantaine "d'amis". Phyllis Lambert est là, Sigourney Weaver, une certaine animatrice de radio toujours habillée en noir (sûrement C. C.). Les escarpins Christian Louboutin glissent sur les épais tapis d'Orient et on devise , une coupe de champagne à la main. C'est le ghota international. On parle tantôt en anglais, tantôt en français. On s'en excuse auprès des hôtes anglophones.
C'est rien que du beau monde!
Céline était revenue à Montréal pour un projet grandiose pour sa métropole. Celui-ci sera l'objet de nombreuses critiques. Elle servira de bouc émissaire contre tous les abus dans le monde des grands projets de construction : exploitation, déménagements obligés, gentrification des quartiers. Elle perdra la direction de la très grosse compagnie qu'elle avait mise sur pied. Elle connaîtra la trahison de ses associés.
Enfin, lors d'une autre fête organisée dans une de ses luxueuses maisons, une bande d'anarchistes-contestataires envahira, saccagera sa demeure : toiles de très grande valeur et meubles lacérés, etc. Un véritable carnage. La description de l'explosion de l'immense aquarium est une scène d'anthologie. On se croirait à fin du film d'Antonioni, Zabriskie Point.
Tout cela sera l'occasion pour Céline de faire le bilan de sa vie et de sa carrière. Elle a enjolivé le monde et l'a rendu plus beau par ses créations. Tout ça ne s'est pas fait sans effets collatéraux. Des choses qu'on n'a pas vues, qu'on n'a pas voulu voir, qu'on n'aurait pas aimé voir. Et si le temps était venu de réfléchir sur les effets pervers du capitalisme, sur une répartition un tant soit peu plus éthique de la richesse. Et si les multimilliardaires acceptaient de redonner un peu à la société. Question d'équilibre. Utopique? Non pas vraiment!
Cest un grand roman! Un grand écrivain. Un bémol toutefois : les paragraphes sont parfois très, très longs. Kevin Lambert a sans doute été fasciné par l'écriture de l'auteur d'À la recherche du temps perdu, ce qui expliquerait sa tendance à faire des phrases pleines de circonvolutions.
Et puis, n'est-on pas un peu ici chez les Verdurin et les Guermantes dans ces maisons de luxe ou ces lofts sur les toits de Montréal avec vue sur le Mont-Royal.
CLARENCEVILLE-MONTRÉAL /CHUM (mars 2023)
CRAIG BROWN / 150 GLIMPSES OF THE BEATLES
Tout ce que vous aimeriez savoir sur les Beatles
J'avoue. Je suis un fan fini des Beatles. J'achète toutes les rééditions de leurs disques, même si la plupart du temps ça n'apporte rien de bien nouveau. Idem pour les albums solos de George Harrison et de John Lennon... et certains de Paul McCartney. Et des livres aussi. Celui-ci, c'est mon frère qui me l'a prêté.
Alors, pour moi ce livre est une aubaine. J'en feuillette quelques pages avant de m'endormir. Toutes sortes de petites anecdotes souvent passées inaperçues.
J'y reviendrai à l'occasion.
JULIEN GRACQ / AU CHÂTEAU D'ARGOL
Les visiteurs du château
Albert a fait l'acquisition du château d'Argol pour y faire des études philosophiques. C'est un vieux château labyrinthique qui surplombe une vallée en Bretagne.
Il y reçoit la visite de son ami Herminien et de la belle et énigmatique Heide. Il s'ensuit un ballet amoureux dans ce décor à la fois flamboyant et inquiétant. L'amour et la haine sont au rendez-vous, la mort aussi. C'est une histoire sans repères temporels.
Paru en 1938, ce premier roman de Julien Gracq avait été salué comme un véritable roman surréaliste par André Breton.
C'est un récit qui oscille entre rêve et réalité rappelant l'atmosphère des films Les visiteurs du soir de Marcel Carné ou encore L'année dernière à Marienbad d'Alain Resnais.
L'écriture est belle, très travaillée, absolument fascinante, toute en dédales à l'image de ceux du château d'Argol.
Je me souviens, il y a plusieurs années, avoir lu une chronique de Pierre Foglia qui faisait l'apologie de l'oeuvre de Julien Gracq.
Au final, ce que je peux en dire c'est que c'est un récit absolument envoûtant, on en sort presque hypnotisé. Un petit roman, 98 pages. Heureusement!
Un jour, je m'attaquerai à son autre chef-d'oeuvre Le rivage des Syrtes. Un peu plus long celui-là.
CLARENCEVILLE, mars 2023
PERRINE LEBLANC / GENS DU NORD
Les eaux troubles de Samuel Gallagher
Samuel Gallagher, écrivain, militant pour l'indépendance de l'Irlande du Nord est exécuté par la police paramilitaire à Belfast. Nous sommes en 1991, près de vingt ans après le Bloody Sunday immortalisé entre autres par U2.
François Le Bars est un journaliste de guerre français qui carbure à l'adrénaline. Il a couvert plusieurs conflits internationaux et s'intéresse plus particulièrement au conflit entre protestants et catholiques en Irlande du Nord, jouant parfois sur les deux tableaux.
Il va croiser Anne Kelly, une jeune journaliste québécoise fascinée par Samuel Gallagher à qui elle veut consacrer un documentaire.
Tout ça va donner lieu à un chassé-croisé politico amoureux entre Paris, Belfast et Montréal.
Leblanc Perrine revisite avec beaucoup de finesse les méandres de ce conflit qui n'en finit plus de finir.
Toutefois, il faut bien s'accrocher au début : la difficulté à situer clairement les personnages et leurs liens agace un peu. La fin, que je ne voudrais vous divulger sous aucun prétexte, étonne.
Malgré quelques maniérismes dans le style, c'est un roman vif, très rythmé et qui montre bien la réalité des journalistes indépendants ainsi que l'absurdité d'un conflit quasi insoluble.
CLARENCEVILLE, mars 2023
THIERRY PARDO / PETIT ÉLOGE DU MOUTON
Réhabiliter le mouton.
Le chic du chic par les temps qui courent c'est de jouer les bergers urbains à Rosemont au parc Maisonneuve ou encore près de la rue Masson. Mais c'est aussi beaucoup plus que ça.
L'expérience qu'a vécue Thierry Prado a changé sa vision du mouton, le mal aimé, le grégaire sans intérêt.
Au contraire, on lui découvre bien des qualités. Il fait don de sa laine, il sert de tondeuse là où on lui en laisse l'opportunité. Il est doux et aime le contact des humains. Il est grégaire, soit. Mais dans le cas des animaux, est-ce vraiment un défaut?
Bref, un charmant petit ouvrage d'à peine 60 pages que m'a fait découvrir mon amie Hélène, aux îles de la Madeleine tout récemment.
Petit éloge du mouton, c'est la symbiose entre le monde animal et les humains, la nature et l'urbanité, un moment de calme et de réflexion au coeur de la ville, dans un monde qui va trop trop vite.
Îles de la Madeleine, 15 février 2023
JUSTINE LÉVY/ RIEN DE GRAVE
Quatre consonnes et trois voyelles...
Pas besoin d'être très people pour connaître l'histoire de Justine Lévy, la fille de BHL, des Enthoven, père et fils, et de Carla B., alias Paula the Terminator.
Rien de grave, drôle de titre pour un récit où tout l'est justement. Son addiction aux amphétamines, son avortement à cinq mois, le cancer de sa mère et sa douloureuse séparation d'avec son mari, Raphael Enthoven qui l'a quittée pour celle qu'elle appelle Terminator.
Ce n'est pas que je veuille me dédouaner, mais j'ai trouvé ce livre que je n'avais jamais lu, mais dont j'avais beaucoup entendu parler à l'époque, chez Renaissance.
Par contre, j'avais lu Le temps gagné de Raphael Enthoven, où il racontait d'une manière qui manquait d'élégance cette même histoire. Et en plus, c'était fort mal écrit.
Le récit de Justine Lévy est par contre très bien écrit. Elle a un véritable talent d'écrivain. D'ailleurs, son dernier livre, Un fils, sur la mère d'Antonin Artaud en est la preuve.
Rien de grave, est un livre que l'on peut très bien ne pas avoir lu sans que ça laisse un grand trou dans sa culture littéraire.
Au final c'est tout de même un grattage de bobo, une psychanalyse littéraire, mais c'est fait avec beaucoup plus de classe et de retenue que celui de son ex aux cinq consonnes et trois voyelles.
Clarenceville, janvier 2023.
DOSTOIEVSKI / CRIME ET CHÂTIMENT
Crimes et remords
J'avais tout juste dix-huit ans, j'étais au cegep, quand j'ai lu Crime et châtiment. Un roman dense, sombre, exigeant qui m'avait beaucoup troublé à l'époque.
Je m'y suis remis il y a déjà plus d'un mois, avec une pause entre les tomes 1 et 2 pour des lectures plus légères, si l'on peut dire. Plus de cinquante ans plus tard Crime et châtiment demeure une oeuvre tout aussi sombre et exigeante, monumentale par son propos.
Raskolnikov, jeune étudiant à Petersbourg, habite dans un réduit misérable, peine à manger convenablement par manque d'argent. Un beau jour, il assassine à la hache, une vieille usurière réputée garder chez elle de l'argent et des biens laissés en gage. Sa soeur, Élizabeth, survenant au mauvais moment subira le même sort.
Le crime de la vieille usurière aura été prémidité, planifié, analysé sous l'angle de la morale. Jamais l'appellation de crime prémédité n'aura été plus juste.
Au fil d'un long dilemme moral, de tergiversations avec les autorités, Raskolnikov finira par se rendre à la justice. Son crime était-il justifiable? Aurait-il pu (ou dû) vivre avec ce double meurtre sur la conscience? Valait-il mieux faire face à la justice humaine ou à la justice divine?
Il passera sept années dans un bagne en Sibérie. Il connaîtra enfin l'amour rédempteur de Sonia qui l'amènera vers une renaissance.
Une relecture intéressante, oui! C'est un peu long, certes! Mais ç'est un grand classique!
En relisant Crime et châtiment, j'ai pensé à Crimes et Misdemeanors de Woody Allen, à You, cette série qui carbure actuellement sur Netflix et bien sûr à la saga des Ripley de Patricia Highsmith. Toujours le même thème : comment vivre avec sa conscience quand on a commis un délit grave.
Clarenceville-les Îles de la Madeleine-Montréal / février-mars 2023
LARRY TREMBLAY / TABLEAU FINAL DE L'AMOUR
Le peintre et son bourreau
Le récit commence lorsqu'un voyou fait intrusion dans l'atelier de Francis Bacon à Londres. Il s'appelle George Dyer. Après l'avoir tabassé, il passera la nuit avec lui. Ce sera le début d'une relation houleuse - et je pèse mes mots - qui s'échelonnera sur près de vingt ans.
George Dyer sera son modèle. Il l'aura peint sous tous ses angles, décomposé, éclaté, déformé. Il ya beaucoup de violence entre eux. Départ, retour. Dyer est un drogué, un violent, surtout lorsqu'il est en manque. Il fricote avec des voleurs, doit de l'argent. Dans un accès de colère, il détruira une grande partie des toiles dans son atelier. Elles valent déjà une fortune.
Francis Bacon a connu une enfance violente. Son père n'avait jamais accepté sa santé fragile et encore moins son homosexualité. Il va quitter très jeune - à 19 ans - le foyer familial et se rendra à Paris où il va vivre de la prostitution.
Il va connaître la gloire et la célébrité au milieu des années 60. Il dépense beaucoup pour combler ses amants : voyages en première classe, champagne coulant à flots, grands restaurants.
George Dyer reviendra à lui à sa sortie de prison en 1971. En octobre 1971, Francis Bacon est l'objet d'une grande rétrospective au Grand Palais à Paris. C'est l'ultime consécration. Dyer l'accompagne à Paris. Le soir de la première, on lui annonce que Dyer s'est suicidé dans sa chambre d'hôtel.
Le récit de Larry Gaudreault ressemble à une lettre que Bacon adresse à George Dye, celui qui aura été le plus constant dans sa vie. Une relation violente, une sexualité trouble à l'image de ce qu'aura été la vie de celui qu'on a surnommé le plus grand peintre anglais moderne.
Clarenceville, janvier 2023.
SIMON LIBERATI / PERFORMANCE
Sex and Drugs and Rock'n Roll chez Keith et Anita
Au départ, j'ai cru que j'allais abandonner après quelques pages, tant je trouvais son style un peu alambiqué. De plus, ce personnage d'écrivain septuagénaire qui a tout vu et tout connu, qui se décrit lui-même comme moche et incontinent - il le dit à plusieurs reprises - et qui couche avec Esther, son ex-belle fille, un manequin, limite anorexique de 23 ans, ne m'inspirait pas une grande sympathie.
Toujours est-il que notre écrivain qui n'écrit plus, est criblé de dettes. Il accepte donc d'écrire un scénario pour une sérié télé portant sur une petite tranche de la vie tumultueuse de Brian Jones et Keith Richards. On parle de 1969 au moment où Brian Jones est viré des Stones et où Keith file en Espagne et au Maroc avec la belle Anita (qui était la blonde de Brian... vous me suivez?) laissant ce dernier dans un hôpital à Albi.
Au fil des pages, l'histoire du scénariste et d'Esther se confond avec celle de Keith, Brian et Anita : jalousie, culpabilité, usage de drogues.
Brian Jones a-t-il été assassiné (il faut dire qu'il avait de drôles de fréquentations) ou est-il mort par accident (il faut aussi dire qu'il consommait pas mal de choses aussi) ?
Disons que j'ai été plus intéressé par les aventures des Rolling Stones première époque que par les états d'âme de l'écrivain-scénariste.
J'ai lu PERFORMANCE en écoutant Beetween the Buttons, un des mes albums préférés des Stones, un des derniers auquel Brian Jones a collaboré.
J'avais aussi en tête la jolie balade de Carla Bruni, Chez Keith et Anita où elle parle d'une fête dans le sud de la France à une époque où elle n'était pas là.
Au fait le titre de l'ouvrage fait référence à un film de Nicolas Roeg tourné en 1972 et qui met en vedette Mick Jager et Anita Pallenberg. Une sanglante histoire de gangsters autour d'une star du rock déchue.
Clarenceville, janvier 2023.
W. Wilkie Collins / La dame en blanc
Un thriller victorien
Lorsque l'on lit un roman écrit au milieu du 19e siècle, largement plébiscité par les plus grands qui n'ont pas hésité à qualifier l'ouvrage de chef-d'oeuvre, les attentes sont grandes. La dame en blanc a été porté au cinéma à plusieurs reprises dans les années 50 et plus récemment dans une série à la BBC. Je n'ai pas été déçu.
Je ne vous raconterai pas l'histoire. Disons que c'est un thriller qui se situe dans l'Angleterre victorienne. Le suspense est distillé au compte-gouttes. L'intrigue est construite à partir du récit des différents protagonistes de cette histoire d'enlèvement, d'usurpation d'identité, de société secrète.
Le roman fait près de 600 pages. C'est long, mais on est tenu en haleine du début à la fin.
C'est aussi un grand roman d'amour. L'amour, toujours l'amour. Et avec un vrai happy end
Le poète T.S.Eliot a dit de La dame en blanc : "Le meilleur roman policier de langue anglaise."
Ce n'est pas rien.
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Éric Plamondon / Aller aux fraises
Avoir 18 ans...
Trois petites nouvelles où l'auteur relate l'année de ses dix-huit ans. La première vraie brosse, la première vraie blonde, le permis de conduire, la première année de cegep à Thedford Mines. Ses aller-retour entre chez son père et sa blonde, sa mère et son chum. C'était l'époque où les parents divorcés étaient la norme.
C'est beau, c'est bien écrit. On a tous eu dix-huit ans.
Ça peut faire penser à " La première gorgée de bière " de Phillip Delerm, mais bien ancré dans la réalité québecoise.
Oui, il faut aller aux fraises et lire ces trois petits récits de cet auteur que j'affectionne particulièrement.
Clarenveville, 7 janvier 2023.
ET BONNE ANNÉE 2023.
François Blais / De l'excellence du profilage publicitaire
Sexe à Sainte-Marie Salomé
Ce tout petit livre de 31 pages est un drôle d'ovni. Le narrateur, célibataire, las des exigences de la vie en couple, décide de faire appel à des travailleuses du sexe pour satisfaire sa libido.
Son ordinateur le guide vers Sainte-Marie-Salomé, où des Japonaises et des Slovènes offrent leurs services sexuels par l'intremédiaire d'internet.
Et pour notre narrateur, ce sera gratuit. Inusité. Ce qui a retenu mon attention, c'est la mention de Sainte-Marie Salomé, un petit village quelquepart dans Lanaudière que je connais bien. Il y a beaucoup, beaucoup de Mireault là-bas.
Clarenceville, 4 janvier 2023.
Richard Brautigan / La pêche à la truite en Amérique
J'ai fait la connaissance de Richard Brautigan dans le deuxième volume de la trilogie 1984, d'Éric Plamondon, intitulé Mayonnaise.
Le portrait qu'il en faisait avait piqué ma curiosité. Déception. Je n'y ai rien compris. Nada! Rien!
La traduction y est-elle pour quelque chose?
Au suivant! La vie est trop courte.
Éric Plamondon / Pomme S (t.3/1984)
Apple Man
Je viens de terminer la lecture de Pomme S, le dernier tome de la trilogie 1984 d'Éric Plamondon.
C'est sûrement le volet le plus abouti de la trilogie, bien que j'ai beaucoup aimé les deux autres.
Il est bien sûr question de Steve Jobs, personnage pivot du récit. Mais son histoire est intercalée - encore une fois - dans un réseau de correspondances extrêmement bien tissé. Gabriel Rivages vit l'expérience de la paternité. Janis Joplin quitte son emploi de perforeuses de cartes IBM au Texas pour rejoindre la Californie. Alan Turing - le père de l'ordinateur - se suicide en mangeant une pomme avec du cyanure.
Tout s'imbrique parfaitement. C'est d'une grande érudition. C'est un livre qu'on aurait rêvé d'écrire. On peut se consoler en le lisant ou en le relisant.
Et pas besoin de lire une biographie volumineuse de Steve Jobs.
L'essentiel est là.
Montréal-Clarenceville, décembre 2022
Éric Plamondon / Mayonnaise (t.2/1984)
Le dernier des beatniks
Ça commence par une recette de mayonnaise qui donne d’ailleurs le titre au deuxième récit de la trilogie 1984.
Cette fois-ci, Gabriel Rivages retrace le parcours de Richard Brautigan, que l’on a surnommé le dernier des beatniks 1935-1984)
Il est surtout connu pour son roman La pêche à la truite en Amérique paru en 1969.
Richard Brautigan étant né à San-Francisco, il sera question de Janis Joplin dans Haight-Ashbury chantant Mercedes Benz, - elle aurait offert une écharpe à Brautigan- de la culture hippie sur la côte ouest américain.
ll est bien sûr question de la pêche, mais aussi de Jack Kerouac, d’Alan Grinsberg, de John Lennon et Yoko Ono.
À travers tout ça se profile l’histoire de Gabriel Rivages, notamment celle se ses origines.
Je ne conaissais pas Richard Bautrigan, mais j’ai été assez intrigué pour emprunter La pêche à la truite en Amérique à la BNQ.
Éric Plamondon raconte qu’à l’époque beaucoup ont acheté ce livre pensant qu’il s’agissait d’un guide de pêche.
Pommes, le dernier volet de la trilogie est consacré à Steve Jobs.
lu-vu-entendu : livres, musiques, films et photos
Julesetleslivres.com / Merci à Gigi pour l'idée de mise en photos des livres. Pour les commentaires sur «À la recherche du temps perdu», voir sous la rubrique MARCEL PROUST.